L’appel de 1 000 scientifiques : « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire »

Une tribune publié dans Le Monde du 20 février 2020.

Je me permets quelques lignes d’introduction à cet appel paru hier dans Le Monde.

Il faut que la situation soit grave pour en arriver là. Pourtant, chaque paragraphe de ce texte en apporte la démonstration… On a beau dire que les incitations à la désobéissance civile devront émaner d’organisations reconnues, il est clair qu’en lançant un tel appel, les scientifiques en sont arrivés à une extrémité telle que ce sont les bases même de la République et de l’État de droit qui s’en trouvent sapées. Le monde dans lequel nous vivrons ces prochaines années commence à prendre forme : soit les institutions se maintiendront, nous continuerons à les respecter, et on continuera à détruire méthodiquement la planète sur laquelle nous vivons ; soit nous réagirons, comme citoyens, comme militants, avec des chances de réussite difficiles à mesurer, et on pénètre dans l’inconnu. Moi qui comme beaucoup d’autres prête un sens positif aux termes de rébellion et de désobéissance, j’avoue ne pas savoir où nous mènerait, si elle se généralise un jour, une anarchie qui ne sera pas éclairée par la pensée des grands théoriciens (ou praticiens…) de l’anarchisme que furent Bakounine, Proudhon ou Durruti. Je crains l’affrontement entre des régimes autoritaires sans âme, dont la Chine et la Russie nous offrent déjà l’avant-goût, et des résistances sans illusions. Quelle responsabilité gigantesque que celle des politiques, à tous les échelons, de celui des communes à celui des institutions supranationales ! Et quelle responsabilité aussi que celle des citoyens à l’heure, peut-être, d’opter pour la désobéissance. G. C.

Tribune. Nous, soussignés, représentons des disciplines et domaines académiques différents. Les vues que nous exprimons ici nous engagent et n’engagent pas les institutions pour lesquelles nous travaillons. Quels que soient nos domaines d’expertise, nous faisons tous le même constat : depuis des décennies, les gouvernements successifs ont été incapables de mettre en place des actions fortes et rapides pour faire face à la crise climatique et environnementale dont l’urgence croît tous les jours. Cette inertie ne peut plus être tolérée.

Les observations scientifiques sont incontestables et les catastrophes se déroulent sous nos yeux. Nous sommes en train de vivre la sixième extinction de masse, plusieurs dizaines d’espèces disparaissent chaque jour, et les niveaux de pollution sont alarmants à tous points de vue (plastiques, pesticides, nitrates, métaux lourds…).

Un objectif déjà hors d’atteinte

Pour ne parler que du climat, nous avons déjà dépassé le 1 °C de température supplémentaire par rapport à l’ère préindustrielle, et la concentration de CO2 dans l’atmosphère n’a jamais été aussi élevée depuis plusieurs millions d’années.

Selon le rapport de suivi des émissions 2019 du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), les engagements pris par les pays dans le cadre de l’accord de Paris de 2015 nous placent sur une trajectoire d’au moins + 3 °C d’ici à 2100, et ce à supposer qu’ils soient respectés.

L’objectif de limiter le réchauffement sous les + 1,5 °C est désormais hors d’atteinte, à moins de diminuer les émissions mondiales de 7,6 % par an, alors qu’elles ont augmenté de 1,5 % par an au cours des dix dernières années.

Chaque degré supplémentaire renforce le risque de dépasser des points de basculement provoquant une cascade de conséquences irréversibles (effondrement de la banquise, dégel du pergélisol, ralentissement des courants océaniques…) Les études préparatoires au prochain rapport du GIEC (CNRS-CEA-Météo France) suggèrent que les rapports précédents ont sous-estimé l’ampleur des changements déjà enclenchés. Un réchauffement global de plus de 5 °C ne peut plus être exclu si l’emballement actuel des émissions de gaz à effet de serre se poursuit. A ce niveau, l’habitabilité de la France serait remise en question par des niveaux de température et d’humidité pouvant provoquer le décès par hyperthermie.

« Si nous persistons dans cette voie, le futur de notre espèce est sombre »

Les sociétés humaines ne peuvent continuer à ignorer l’impact de leurs activités sur la planète sans en subir les conséquences, comme l’ont montré de longue date et chaque jour plus clairement de nombreuses études reflétant le consensus scientifique. Si nous persistons dans cette voie, le futur de notre espèce est sombre.

Notre gouvernement se rend complice de cette situation en négligeant le principe de précaution et en ne reconnaissant pas qu’une croissance infinie sur une planète aux ressources finies est tout simplement une impasse. Les objectifs de croissance économique qu’il défend sont en contradiction totale avec le changement radical de modèle économique et productif qu’il est indispensable d’engager sans délai.

L’inconséquence et l’hypocrisie des politiques

Les politiques françaises actuelles en matière climatique et de protection de la biodiversité sont très loin d’être à la hauteur des enjeux et de l’urgence auxquels nous faisons face. Loin de confirmer une prétendue opposition entre écologie et justice sociale, le mouvement des « gilets jaunes » a dénoncé à juste titre l’inconséquence et l’hypocrisie de politiques qui voudraient d’un côté imposer la sobriété aux citoyens tout en promouvant de l’autre un consumérisme débridé et un libéralisme économique inégalitaire et prédateur.

Continuer à promouvoir des technologies superflues et énergivores comme la 5G ou la voiture autonome est irresponsable à l’heure où nos modes de vie doivent évoluer vers plus de frugalité et où nos efforts collectifs doivent être concentrés sur la transition écologique et sociale.

L’absence de résultats de cette politique est patente : comme l’a relevé le Haut Conseil pour le climat, le budget d’émissions de gaz à effet de serre fixé par la Stratégie nationale bas carbone française n’a pas été respecté entre 2015 et 2018. En dépit des déclarations de bonnes intentions, l’empreinte carbone par habitant de la France (incluant les émissions importées) reste aujourd’hui encore supérieure à son niveau de 1995, à 11 tonnes d’équivalent CO2 par habitant et par an, alors qu’elle doit descendre à 2 tonnes d’ici à 2050.

« Nous invitons tous les citoyens, y compris nos collègues scientifiques, à se mobiliser pour changer le système par le bas dès aujourd’hui »

La prochaine décennie sera décisive pour limiter l’ampleur des dérèglements à venir. Nous refusons que les jeunes d’aujourd’hui et les générations futures aient à payer les conséquences de la catastrophe sans précédent que nous sommes en train de préparer et dont les effets se font déjà ressentir. Lorsqu’un gouvernement renonce sciemment à sa responsabilité de protéger ses citoyens, il a échoué dans son rôle essentiel.

En conséquence, nous appelons à participer aux actions de désobéissance civile menées par les mouvements écologistes, qu’ils soient historiques (Amis de la Terre, Attac, Confédération paysanne, Greenpeace…) ou formés plus récemment (Action non-violente COP21, Extinction Rebellion, Youth for Climate…)

Nous invitons tous les citoyens, y compris nos collègues scientifiques, à se mobiliser pour exiger des actes de la part de nos dirigeants politiques et pour changer le système par le bas dès aujourd’hui. En agissant individuellement, en se rassemblant au niveau professionnel ou citoyen local (par exemple en comités de quartier), ou en rejoignant les associations ou mouvements existants (Alternatiba, Villes en transition, Alternatives territoriales…), des marges de manœuvre se dégageront pour faire sauter les verrous et développer des alternatives.

Les enjeux environnementaux avant tout

Nous demandons par ailleurs aux pouvoirs publics de dire la vérité concernant la gravité et l’urgence de la situation : notre mode de vie actuel et la croissance économique ne sont pas compatibles avec la limitation du dérèglement climatique à des niveaux acceptables.

Nous appelons les responsables politiques nationaux comme locaux à prendre des mesures immédiates pour réduire véritablement l’empreinte carbone de la France et stopper l’érosion de la biodiversité.

Nous exhortons également l’exécutif et le Parlement à faire passer les enjeux environnementaux avant les intérêts privés en appliquant de manière ambitieuse les propositions issues de la Convention citoyenne pour le climat et en prolongeant son mandat pour lui donner un pouvoir de suivi de leur mise en œuvre.

Tribune lancée par : Joana Beigbeder, science des matériaux, institut Mines-Télecom-Mines Alès ; Frédéric Boone, astrophysique, institut de recherche en astrophysique et planétologie ; Milan Bouchet-Valat, sociologie, institut national d’études démographiques ; Julian Carrey, physique, institut national des sciences appliquées de Toulouse ; Agnès Ducharne, Climatologie, CNRS-institut Pierre-Simon-Laplace ; Tanguy Fardet, neurosciences computationnelles, Max Planck Institute for Biological Cybernetics-Université de Tübingen ; Kévin Jean, épidémiologie, conservatoire national des arts et métiers ; Jérôme Mariette, bio-informatique, institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement ; Françoise Roques, astrophysique, observatoire de Paris.

Liste complète des signataires

6 commentaires sur “L’appel de 1 000 scientifiques : « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire »”

  1. A Penestin, combien de maisons secondaires? (SECONDAIRES!) un mobil home ou une caravane, avec beaucoup moins d’impact ne suffit pas. Des volets électriques, des portails électriques, des sèche-linge, des lave-vaisselle, etc…
    Les gens veulent bien la campagne avec tout le confort , mais sans animaux,des nuisibles, vous pensez!
    Des oiseaux, mais pas d’insectes, des papillons, mais pas de chenilles, pas de souris, mais pas de renards non plus, des lézards, mais pas d’orvets! ( au secours, un serpent!) la liste est longue, pas de feuilles mortes sur le toit, pas d’arbre à moins de 20 mètres au moins, ah si, un olivier ou un palmier en pot! Pour ne pas avoir à passer la tondeuse, on met du goudron…
    Avez vous vu les monceaux de choses qui sont jetées à la déchetterie?

    Conscience? Plutôt ignorance, inconséquence j’m’en -foutisme!

    C’est déjà la fin….

  2. Merci pour cet article, je suis inquiète pour l’avenir de nos descendants, et plus encore pour celui de la vie sauvage, quelque soit sa forme; l’une entraînant l’autre…
    La prochaine extinction de masse ne saurait tarder, elle est là, sous nos yeux,

    Bonemine Dehors

  3. Les paroles c’est bien, les actes c’est mieux – Déjà et il y a fort longtemps, la bible nous a dit : “omnia ergo quaecumque dixeri volis servate et facite: secundum opera vero eorum nolite facere; dicunt enim et non faciunt”
    (évangile selon saint mathieu chap.XXIII versets 2 & 3 ) : observez donc et faites tout ce qu’ils vous diront mais ne faites pas ce qu’ils font car ils disent ce qu’il faut faire et ne le font pas – faites ce que
    je dis mais ne faites pas ce que je fais …. dans un monde où ceux qui tiennent les couteaux pour
    trancher le pain et surtout pour étaler le beurre sur leurs tartines devant une population de 8 milliards d’habitants dont la moitié survit dans la misère et la pauvreté –
    Alors ….. pourquoi la vraie situation de la surpopulation …. sans /avec … surconsommation est
    toujours écartée ??

  4. Cet article retentit en moi même si je sais déjà ce qui y est dit. Je me souviens d’un livre, lu vers 1977, un roman de science fiction : “La fin du rêve” de Philip Wylie. Cette histoire parait aujourd’hui prémonitoire. L’auteur parait visionnaire sur les impacts de la pollution et du développement à tout crin. Livre déprimant, mais assez réaliste sur ce qui attend notre civilisation si elle ne se prend pas en mains. Colette

  5. J’ai lu cet appel hier également dans Le Monde. 21 février, jour de naissance de Suzanne, petite soeur de notre Elisabeth… Leur avenir est plus qu’incertain en effet et je pense que ce texte peut faire prendre conscience INDIVIDUELLEMENT à chacun de modifier ses pratiques quotidiennes. La DÉSOBÉISSANCE dans ce cas ne serait alors que refus et conscience d’autres valeurs, sans revolution violente. Comment préparer les nouveaux acteurs politiques à plus de transparence et de responsabilité ? Là me semble un enjeu essentiel. Merci Gérard !

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