Le mardi 29 octobre, j’ai été invité à une réunion de l’association Cappenvironnement consacrée au projet de parc d’activités de Loscolo. Dominique Boccarossa, le président, y expliquait qu’une vingtaine au moins de Pénestinois avaient déposé des recours gracieux demandant l’abrogation de l’arrêté préfectoral du 23 juillet, suivis, dans certains cas, de mémoires complémentaires. Rappelons qu’un recours gracieux s’adresse à l’autorité administrative qui a pris l’acte contesté, à savoir, dans ce cas, la préfecture du Morbihan. Il ne passe pas par un juge. S’il n’y a pas de réponse du préfet à la date du 23 novembre, cela vaudra comme un rejet des recours déposés.
La phase suivante est celle des recours contentieux qui seront déposés devant le Tribunal administratif de Rennes. Par ailleurs, si les travaux de débroussaillage ou de défrichement (cf. « Comité de suivi Loscolo : le temps est une arme », 26 octobre 2019) devaient commencer dans l’intervalle sur la zone de Loscolo, les riverains et l’association Cappenvironnement déposeraient un « référé suspension », procédure d’urgence qui peut être engagée lorsque trois conditions soient remplies : une procédure judiciaire est déjà en cours ; la décision contestée porte « un préjudice grave et immédiat » à l’intérêt public ; il existe un « doute sérieux » quant à sa légalité.
Comment payer les honoraires d’un avocat ?
Autant le recours contentieux que le référé suspension sont des procédures complexes. On peut les mener seul, mais la présence d’un avocat est préférable. Dominique Boccarossa explique qu’il a eu un rendez-vous quelques jours plus tôt avec un avocat spécialiste du droit de l’environnement, qui s’est déclaré prêt à défendre les actions engagées par les riverains. Toute la question, lors de la réunion du 29 octobre, était de savoir comment une association quasiment sans ressources comme Cappenvironnement serait susceptible de régler ses honoraires.
Les participants proposent d’engager une collecte auprès des riverains, dont les biens, pour beaucoup, perdent de leur valeur en raison de la proximité de la zone et des nuisances occasionnées. Au-delà, ils envisagent d’élargir cette collecte à l’ensemble des habitants de la commune. Dominique Boccarossa refuse toute forme d’aventurisme : il n’engagera pas l’association tant que les sommes nécessaires à l’ensemble de la procédure, même si elle doit durer des mois, voire des années, ne sont pas réunies. Il inclut même dans le total les frais qui seraient imputés à l’association dans l’hypothèse où elle perdrait son action en justice.
On connaît évidemment la difficulté qu’il y a à passer de la parole aux actes et le pari est risqué. La somme totale divisée par une estimation du nombre de donneurs potentiels donne un quotient de 160 euros. Néanmoins, la réunion opte pour ce choix. Bien sûr, les chèques seront retournés à leur émetteur si la somme totale n’est pas atteinte.
Une dizaine de jours plus tard, Dominique Boccarossa prend la plume à destination des membres de Cappenvironnement et des riverains, dont un certain nombre a d’ailleurs rejoint l’association, forte maintenant d’une quarantaine d’adhérents. 60 % de la somme nécessaire ont déjà été collectés. Il est par ailleurs possible que les assurances de protection juridique de certains riverains prennent en charge une participation pouvant aller jusqu’à 1000 euros.
Les adhérents, les citoyens et les riverains ont montré leur motivation
Cappenvironnement est donc raisonnablement optimiste. Les adhérents, les citoyens et les riverains ont montré leur motivation en mettant la main au portefeuille. On peut désormais penser que le total sera atteint et qu’il sera possible d’engager toutes les procédures relevant de cette phase juridique de leur combat contre Loscolo.
Autre information : lors de l’assemblée générale de l’Association des amis de Mès et Vilaine tenue le 31 octobre, Dominique Boccarossa a annoncé sa démission de l’association « historique ». D’autres militants restent membres des deux associations, mais un pas a assurément été franchi dans l’accentuation du clivage qui sépare l’ancienne et la nouvelle association de défense de l’environnement.
Le dossier Loscolo a marqué la différence de conception entre les deux associations. Mès et Vilaine a adressé des contributions détaillées lors des deux enquêtes publiques, mais son souci premier était d’empêcher la compensation des zones à défricher initialement proposée par Cap Atlantique. Celle-ci est finalement revenue sur ce choix, reconnaissant (en réponse à une demande formulée par Cappenvironnement) qu’il était inadapté. En comité de suivi, Marie-Armelle Échard, la présidente de Mès et Vilaine, a adressé des remerciements appuyés à Cap Atlantique pour cette décision.
Désormais, Mès et Vilaine semble considérer que la défense de la mytiliculture passe par la réalisation du projet Loscolo, quels qu’en soient les défauts et les conséquences pour l’environnement. Cappenvironnement se déclare tout aussi soucieuse de l’avenir de la mytiliculture, mais elle milite pour cette raison même contre un projet qu’elle juge archaïque, inutilement coûteux pour les finances publiques et contraire à la fois à la défense de l’environnement et aux intérêts de la profession.
Les arguments mis en avant dans le cadre des recours gracieux
Revenons à présent sur les recours gracieux qui ont été adressés à la Préfecture. Quels sont les arguments mis en avant dans le cadre de ces recours ? En voici un aperçu, partiel, car je n’ai eu accès qu’à une partie des recours déposés.
La question des rejets en mer est souvent évoquée.
La qualité de l’eau s’est dégradée ces dix dernières années (rapports d’activités Ifremer et « État initial », dans le dossier des enquêtes publiques). « Les algues vertes ne sont que la partie visible de ces pollutions. Le Mor Braz, ce golfe qui s’étend de la presqu’île de Quiberon jusqu’au Croisic, est considéré comme une unité marine partiellement fermée avec très peu de courant. La masse des rejets est peu renouvelée comme sur la plage du Maresclé où est prévue la station de pompage et de rejet. »
Or, l’arrêté préfectoral du 23 juillet n’est, semble-t-il, pas conforme à la directive européenne n°2006/113/CE (qualité requise des eaux conchylicoles – intégrée à la directive cadre sur l’eau). La directive indique les paramètres applicables pour mesurer la qualité des eaux rejetées en mer, et comporte des prescriptions quant aux méthodes et à la fréquence minimale des analyses. L’article 5 de l’arrêté préfectoral ignore à plusieurs reprises les prescriptions de la directive, par exemple sur la mesure du pH qui définit l’acidification de l’océan (cf. article « Une conférence sur la pollution des océans et la biodiversité marine » du 12 novembre 2019), ou sur celle de l’oxygène dissous, essentiel à la survie de la faune aquatique. L’Irlande a par exemple été sanctionnée en 2003 pour « manquement » à l’application de la Directive.
Concernant d’ailleurs la notion même de prescription, un arrêt récent, du 12 juillet 2019 (17MA00954), rendu par la Cour d’appel de Marseille, donne raison aux associations qui contestaient une décision du préfet des Bouches-du-Rhône d’autoriser l’exploitation d’un entrepôt logistique, au motif qu’il n’a pas imposé au demandeur des « prescriptions » sur les « mesures et moyens » à mettre en œuvre face aux effets négatifs d’un projet sur l’environnement et la santé. Indiquer les normes à respecter ne suffit pas, la loi réclame que l’autorité publique stipule également les mesures à prendre. L’arrêté du préfet du Morbihan semble souffrir des mêmes insuffisances.
Le projet de défrichement d’une zone de 8,5 ha au lieu-dit Loscolo est jugé contraire à l’esprit de la loi n°2009-967 du 9 août 2009 relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement :
« Les procédures de décision publique doivent permettre de privilégier les solutions respectueuses de l’environnement, en apportant la preuve qu’une décision alternative plus favorable à l’environnement est impossible à coût raisonnable et de limiter la consommation des surfaces agricoles, forestières et naturelles. Dans cet esprit, on privilégie les espaces déjà artificialisés dans le choix d’implantation du projet (…) »
Aucune des deux enquêtes publiques n’a mené une étude sérieuse et actualisée sur les « décisions alternatives », alors que le choix de Loscolo remontait à une vingtaine d’années, et la seconde enquête publique a même jugé « hors sujet » une pétition qui en faisait la demande.
Le projet était déjà jugé « localement surdimensionné » dans le rapport d’enquête publique sur le PLU 2010. En 2007, au moment de l’enquête Techmar, à peine une dizaine de mytiliculteurs sur une quarantaine se déclarait intéressée. Le Syndicat conchylicole de Pénestin reconnaît lui-même aujourd’hui, dans un courrier lu au Conseil municipal du 16 septembre 2019, que seule une minorité est intéressée par le projet.
Sur le déboisement lui-même de la zone :
La compensation proposée par Cap Atlantique (et qui fait l’objet de l’article 10 de l’arrêté préfectoral) s’est révélée inadaptée. Elle a finalement été abandonnée et remplacée par une compensation financière non prévue dans l’arrêté.
Par ailleurs, le défrichement s’applique aux arbres de plus de 30 ans, or il semble que les chiffres indiqués dans l’article 9 de l’arrêté pourraient dater de 2011 et ne pas tenir compte des arbres arrivés à maturité entre temps (cf. article « Comité de suivi Loscolo : le temps est une arme », le 26 octobre 2019).
Concernant l’aspect économique du projet :
Les coûts estimés sont jugés incomplets sur de nombreux points. Des aménagements viaires n’ont pas été pris en compte et la renaturation du Logo et du Scal, opération complexe et très coûteuse si elle devait être engagée, ne fait l’objet d’aucun chiffrage.
D’autres recours portent sur la question des nuisances, ou bien reprennent l’avis de l’Autorité environnementale qui constatait dans sa séance du 19 avril 2018 qu’il « eût été intéressant d’élargir le périmètre d’étude aux concessions mytilicoles, aux voiries et à l’emprise des activités sur le domaine public maritime ainsi qu’au devenir des sites considérés », ou encore contestent la situation d’abus de pouvoir d’un préfet qui prend une décision en s’appuyant sur l’avis d’une autorité consultative, le CoDERST, conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques, dont il a lui-même nommé les membres et qu’il préside. Deux avis récents du Conseil d’État, en août et septembre 2019, manifestent la volonté des magistrats d’imposer une « séparation fonctionnelle » entre l’autorité qui décide et celle qui émet un avis consultatif, afin d’empêcher qu’un préfet, dans les deux cas mentionnés, puisse être considéré comme étant simultanément juge et partie.
Bravo pour ce combat qui me parait juste au vue de la dégradation de la nature générée par l’inconscience des conséquences écologiques à court et long terme. Encore un calcul économique incomplet et un calcul nuisance nul, comment est ce encore possible avec l’accès facilité à l’information que nous avons ? Comment un tel projet peux t-il avancer jusque là ?
Merci, votre article est une mine d’information. On apprécie la précision et la rigueur.