Petite parabole sur l’engagement en hommage à Albert Camus

Vous vous souvenez que je vous ai parlé d’une mouette il y a deux jours ? Une mouette très affaiblie, sans doute affamée. Je l’avais suivie, à deux mètres de distance, elle n’avait pas la force de s’écarter plus et semblait presque résignée. Je voulais empêcher que des gamins lui lancent de cailloux.

J’avais ressenti mon impuissance. Que faire pour lui venir en aide ? Que faire face aux lois de la nature, souvent si cruelles, qui ne laissent guère de chances aux faibles. Je suis reparti, l’abandonnant à son sort que j’imaginais triste.

Ce matin, je suis retourné à la plage et soudain, je l’aperçois. Sans aucun doute possible. On dit que les animaux n’ont pas de visage. On dit aussi qu’il ne faut pas chercher à les différencier, en leur donnant un nom par exemple. Mais là, c’est une certitude : c’est elle, j’en reconnais chaque détail. Et je reconnais son comportement. Ce n’est que quand je m’en approche à un mètre qu’elle commence à reculer.

J’avance, justement, pour lui parler. J’appelle les mouettes mes « voisines », surtout en hiver où il n’y a personne d’autre. Et je manque de commettre la plus énorme maladresse, que je me serais reproché amèrement. Alors qu’elle recule lentement, j’aperçois entre moi et elle un énorme poisson échoué sur le sable, et qu’elle convoite bien évidemment. Oui, un énorme poisson. Je ne peux pas vous dire si c’était un merluchon, ou même peut-être un bar. Je suis inculte en reconnaissance de poissons. Il était légèrement éventré, mais presque entier. Quelques arêtes saillaient. Il n’avait pas encore l’air trop atteint par la putréfaction.

Je recule de deux pas et la mouette attaque le poisson à grands coups de bec. A ce rythme, elle va certainement recouvrer des forces. Quelques goélands et deux autres mouettes se tiennent à une dizaine de mètres. Ils n’osent pas approcher, tandis que « ma » mouette a appris par la force des choses à faire confiance aux humains en se laissant approcher.

Je comprends bien sûr l’utilité que je peux avoir pour elle. Tant que je reste là, elle peut manger tranquillement et reprendre les forces qui lui font défaut. Je l’encourage. Mange ! Gave-toi ! Prend des forces ! J’ai enfin un rôle. J’ai pu interférer avec les lois de la nature, défendre un animal faible face aux autres. C’est un moment privilégié que je fais durer et que la mouette met à profit pour picorer autant qu’elle peut sous les écailles du poisson.

Lorsque je m’éloigne finalement, je lui fais un signe. Un goéland fonce vers elle en quelques coups d’ailes et elle se met prudemment à distance. Elle a mangé. Bien mangé, même, comme cela arrive rarement à un oiseau comme elle. Elle va sans doute pouvoir survivre, peut-être retrouver la santé et sa place dans la hiérarchie de ses sœurs.

Avant-hier, j’ai agi une première fois en sachant que cela ne servait pas à grand chose. C’est pour cela que j’ai pu saisir une opportunité deux jours plus tard. Une opportunité miraculeuse, une conjonction de circonstances, et qui a donné une vraie efficacité à ma présence.

Quand on s’engage, on se demande parfois à quoi bon. C’est perdu d’avance. Et on perd. Mais ce faisant, on sème les graines d’autres actions à venir.

2 commentaires sur “Petite parabole sur l’engagement en hommage à Albert Camus”

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  2. La mouette était libre dans le vent et sur l’eau.
    Mais sur terre elle était handicapée, et donc opprimée.
    La liberté ne va pas sans lois, pour protéger les faibles et les opprimés.
    Notre devise nationale : “Liberté, Egalité, Fraternité” rappelle nos principes fondamentaux.
    On oublie trop souvent le troisième terme : “La Fraternité”.
    Tu es donc, une mouette libre et fraternelle.

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