Qu’est-ce qu’une enquête publique ?

On trouve à peu près tout sur internet. Alors, pourquoi ne pas essayer d’en savoir plus sur le fonctionnement des enquêtes publiques qui alimentent les conversations des Pénestinois ces derniers temps ? Ce n’est pas simple, me direz-vous, de s’improviser juriste, mais j’ai une botte secrète ! Un rendez-vous téléphonique demain lundi avec l’un des principaux spécialistes français du droit de l’environnement. S’il me dit que j’ai écrit des bêtises, je retirerai le tout illico…

La notion d’enquête publique remonte en France à une loi de 1810 qui garantit le respect du droit de propriété lorsque ont lieu des expropriations dans le cadre de travaux publics. Dès cette époque, l’enquête est menée par un commissaire enquêteur. Le dispositif s’enrichit progressivement (loi de 1833) avec la définition de la Déclaration d’utilité publique et celle de l’enquête préalable.

« appréciations, suggestions et contre-propositions »

Le tournant s’opère avec la loi Bouchardeau relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement, votée le 12 juillet 1983. « Démocratisation » n’est pas un vain mot : cette loi et les suivantes s’efforcent de garantir les droits des citoyens face à l’administration, aux bailleurs de fonds et aux experts. Dans son article 2, elle indique que l’enquête publique « a pour objet d’informer le public et de recueillir ses appréciations, suggestions et contre-propositions ».

Ces trois termes qui demeureront constants à travers les différents textes de loi constituent une gradation. Le plus fort, les « contre-propositions », indique que les citoyens ne font pas qu’exprimer des opinions, fluctuantes par nature, mais interviennent dans le processus de décision en apportant des solutions qui peuvent différer de celles proposées par le maître d’oeuvre. L’article 4 stipule que le rapport du commissaire enquêteur « doit faire état des contre-propositions qui auront été produites durant l’enquête ainsi que des réponses éventuelles du maître d’ouvrage ». Le terme « doit » décrit bien une obligation faite au commissaire enquêteur, qui se constitue ainsi en rempart et non en obstacle à l’expression populaire.

l’esprit et la lettre des textes de loi

Huguette Bouchardeau, sollicitée 10 ans plus tard par Michel Barnier pour rédiger un rapport sur l’application de sa propre loi, observait que dans leur majorité, les 6 000 enquêtes publiques menées chaque année en France n’ont pas le succès espéré. Les citoyens sont freinés par la complexité des dossiers et le sentiment de leur inutilité. L’administration ne joue pas toujours le jeu : « le sens même de l’enquête publique est détourné bien que la lettre des textes soit respectée. » L’une des nouveautés de la loi Barnier de 1993 sera ainsi la désignation du commissaire enquêteur dès le début de l’élaboration du projet dans certaines opérations d’expropriation (article 8 bis), afin de leur assurer une réelle maîtrise sur le déroulement de l’enquête, plutôt que ne pouvoir intervenir que sur des dossiers déjà largement « ficelés ».

Cette question de la « précocité » acquiert toute son importance lorsqu’elle est fixée dans le droit communautaire par la Convention d’Aarhus du 25 juin 1998 sur l’accès à l’information et la participation du public au processus décisionnel dans le domaine de l’environnement. L’article 6 stipule que « chaque partie prend des dispositions pour que la participation du public commence dès le début de la procédure, c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence. »

« une procédure majeure de la démocratie participative »

Le dernier texte régissant les enquêtes publiques est le volet « Gouvernance » (articles 224 à 238) de la loi « Grenelle II » du 12 juillet 2010. Il répond, selon Yves Jegouzo, professeur émérite à l’Université de Paris I, à la nécessité d’adapter le droit français aux contraintes du droit international et communautaire, et notamment à la convention d’Aarhus. Pour Yves Jegouzo, la loi Grenelle II construit un dispositif complet et cohérent définissant les conditions et les limites de la mise en œuvre de la participation du public. Selon lui, c’est « une procédure majeure de la démocratie participative ». Le maître d’œuvre doit désormais préciser dans son dossier « les concertations déjà menées ainsi que la façon dont est conduite la concertation entre le dépôt du dossier et le début de l’enquête publique ».

La mission des commissaires enquêteurs, dont l’autonomie est renforcée (recrutement, rémunération, champ d’action), reste dans la droite ligne de la loi Bouchardeau de 1983 : on retrouve à peine modifiée une référence aux « avis, suggestions et contre-propositions » du public. Par ailleurs, l’étude d’impact (article R 122-3 du Code de l’environnement) fait une place plus grande à la description des « variantes » au projet retenu : les principales solutions de substitution doivent être présentées et comparées du point de vue de leurs effets sur l’environnement.

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L’exposé qui précède est évidemment celui d’un non juriste, mais il se justifie, je pense, pour les mêmes raisons que celui d’un citoyen lambda s’exprimant dans le cadre d’une enquête publique… Deux points ressortent particulièrement :

  • la large place faite depuis 1983 à la notion de « contre-propositions » comme facteurs d’intervention des citoyens dans les processus décisionnels
  • la nécessité d’une intervention « précoce » des citoyens dans l’élaboration du projet, lorsque les différentes options sont encore ouvertes.

Ces principes peuvent aider à mieux lire le dossier soumis au public dans le cadre de l’enquête publique sur le projet « Loscolo ». Ils auront sans doute leur rôle à jouer demain lundi lors de la réunion publique qu’animera la commissaire enquêtrice. Ils jettent peut-être aussi un éclairage sur le débat qui a eu lieu lundi 17 septembre en conseil municipal et que relate l’article de Ouest France du vendredi 21 reproduit ci-dessous. Il semblerait que la ligne de clivage entre majorité et opposition passe, elle aussi, par les deux principes énoncés ci-dessus. Mais c’est à vous d’en juger : mon rôle s’arrête là.

PS. Suite à mon rendez-vous téléphonique avec Raphaël Romi, spécialiste de l’environnement, ex-doyen de la faculté de Droit à l’université de Nantes et auteur de “Le droit de l’environnement et du développement durable” et autres ouvrages, qui accepte d’être cité, j’ai une certaine fierté à vous faire connaître qu’il a trouvé tout à fait juste la synthèse développée dans cet article. Un dossier soumis à enquête publique est tenu de présenter les “alternatives” (terme synonyme de “contre-propositions”) et de démontrer en quoi la solution choisie est plus satisfaisante, notamment d’un point de vue environnemental, que celles qui ont été écartées. Cette présentation et cette démonstration réclament un minimum de développement pour que le dossier soit jugé crédible et, surtout, conforme aux principes énoncés dans la loi. Je précise également que Raphaël Romi est formateur pour les commissaires enquêteurs.

Une deuxième question portait sur la notion de “devoir citoyen” quant à la participation aux enquêtes publiques. Comme cela réclame un peu de place, je vous en reparlerai plus tard.

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