Trois coups de canif dans le consensus démocratique

Lire Ouest-France le matin, c’est un rituel pour beaucoup dans un village comme Pénestin. Entre information et distraction, cette lecture alimente les conversations, l’habitant suit les affaires de sa commune, le citoyen en tire la matière d’une réflexion où se forgeront ses opinions. La presse (locale) est l’un des principaux outils au service de la démocratie (locale).

Alors, permettez au journaliste que je suis moi aussi de vous dire à quel point je suis aujourd’hui ulcéré. Trois articles sur Pénestin, dans Ouest-France ce matin, qui déversent sur les habitants de la commune un flot de propos à sens unique. Le dernier article se termine par un constat d’autosatisfaction des élus, où s’inscrit en transparence le sourire complice de la correspondante : « ‘Nous avons 1045 raccordés‘ [à la fibre optique, indique Christian Mahé, adjoint chargé des réseaux]. C’est bien en l’espace de 2 ans. » Pascal Puisay, le maire, conclut : ‘Oui, c’est une satisfaction.’ »

Une absence totale d’esprit critique

Vous avez bien lu, c’est le maire et non le rédacteur de l’article qui « conclut » celui-ci. Et c’est l’adjoint qui se charge de rapporter le point de vue de l’opposition à propos de l’antenne de 25 mètres implantée par Orange sur le camping de Kerfalher : « Cette antenne n’a pas provoqué de réactions durant l’année et demi pendant laquelle le permis a été affiché en mairie. Elles ont commencé quand elle a été installée. »

La correspondante du quotidien régional s’est vu accorder un privilège journalistique : elle a assisté à l’enregistrement des vœux du maire et a pu disposer de son texte. Il ne lui restait qu’à rédiger l’enrobage, à la brosse à reluire : « Solennel, le maire débute ainsi » ; « une annonce suivie d’une autre, tout aussi importante pour la commune » ; « il souligne avec conviction »… Le texte du maire est largement défloré dans un long article avec photo, comme les deux autres, avec une absence totale d’esprit critique qui détonne dans le premier journal de France. Ouest-France a en effet une diffusion quotidienne payée, toutes éditions confondues, de 626 000 exemplaires, loin devant tous les autres quotidiens.

Le PLU en retard d’un an : circulez, il n’y a rien à voir ! La création contestée d’une maison médicale, le parc conchylicole de Loscolo où l’on prévoir de forer, creuser, terrasser les rochers à proximité immédiate d’une falaise qui s’écroule déjà… Non, décidément, rien à redire, la parole est à l’« édile ».

Le maire répond aux courriers par le silence

Et ce titre : « Au-delà des promesses, ‘des projets tenus’ » ! La correspondante, qui disserte sur ce qui est « important pour la commune », semble ignorer que la promesse principale faite par M. Puisay était celle d’un dialogue entre les élus et la population, au travers de commissions extra municipales et en privilégiant la disponibilité, l’ouverture et une écoute constante des propositions de la minorité et des citoyens de base. 

Le candidat devenu maire prend aujourd’hui toutes les décisions dans le cocon rassurant du « groupe des 15 », le groupe majoritaire, et répond par le silence aux courriers lui proposant de créer des commissions extra municipales sur des sujets comme la sécurité routière (suite à des accidents évitables qui font suite à de mauvaises décisions). Et par le même silence aux interpellations en Conseil municipal, quand les deux franges opposées de la minorité se rejoignent pour pointer l’illégalité de certaines procédures (consultation sur l’ancienne mairie, faveur accordée à la fille du Premier adjoint pour l’achat d’un terrain communal…)

Ouest France, en renonçant à faire son travail, se rend complice de ces atteintes à la démocratie. Les promesses non tenues alimentent le scepticisme, la défiance, quand ce n’est une affirmation désespérante du « tous pourris ». A court terme, le journal s’immisce dans le jeu politique et apporte son soutien à ceux qui disposent déjà de tous les outils et moyens d’expression liés au pouvoir qu’ils exercent. A long terme, il suscite un mécontentement qui se retourne contre lui et contre les journalistes en général. Il sape l’une des bases de la démocratie. N’oublions pas que nous entrons dans une période de campagne électorale où tout se tient : le local et le global, les discours des politiques et ceux des médias.

Une baisse générale du niveau de qualité dans la presse quotidienne régionale

Je ne dis rien du troisième article ? Pour un professionnel, c’est le plus désespérant, celui qui dévoile une absence totale de professionnalisme. La correspondante qui bénéficie d’un traitement privilégié de la mairie ne lui en est guère reconnaissante : invitée à venir assister au départ des membres de la Réserve communale de sécurité civile chargés de faire l’inventaire des falaises entre le Halguen et le Bile et de leurs failles éventuelles, elle décrit la répartition en trois groupes et les consignes données pour cette « opération d’envergure », dixit le maire qui conclut cet article aussi. Opération d’envergure, mais dont ne ne saura rien des résultats, faute pour la correspondante de posséder le réflexe basique de passer un coup de fil dans l’après-midi.

Evidemment, je n’en veux pas personnellement à une personne en particulier et je ne lui souhaite aucun mal. Le problème est celui d’un système dans son ensemble. Certains parmi les correspondants d’un journal comme Ouest-France n’ont ni la formation, ni les valeurs, ni le degré d’exigence des journalistes professionnels chargés de les encadrer. Ces derniers les défendent néanmoins vis-à-vis de toute critique, car ils sont si mal payés que l’on craint par-dessus tout de ne trouver personne pour les remplacer s’ils étaient amenés à quitter le journal. Quant à l’idée qui consisterait à mieux les encadrer, elle se heurte au manque de temps chronique des journalistes, et aux forteresses que parviennent à ériger afin de se protéger les correspondants en place depuis de longues années. A force d’échanges de services divers, ils finissent par compenser leurs faibles émoluments par l’exercice d’une influence dans la vie publique des communes qu’ils ont la charge de couvrir. 

Pour Ouest-France comme pour l’ensemble de la presse régionale, cela pose le problème du maintien de son niveau de qualité et de sa réputation, déjà mis à mal par le tout-marketing de son service clients, sur fond de vieillissement de son lectorat et de recul général de la presse écrite face au numérique. Faudra-t-il ajouter à cela le recul de la démocratie ?

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