Un colloque à Guérande sur la montée des eaux dans la Presqu’île – 1) L’heure n’est plus aux bonnes manières !

Hier samedi avait lieu à Guérande un colloque sur le thème « La mer monte en Presqu’île guérandaise… Et alors ? » Deux associations s’en sont partagé (es ?) l’organisation : « Patrimoine en Presqu’île » et « 1759 ABC ». 4 interventions et une table ronde se sont succédées dans la grande salle de l’espace culturel Athanor, devant 100 à 150 personnes selon les moments de la journée.

J’ai choisi de publier deux articles séparés, en raison du caractère souvent double de cette journée. D’un côté, l’urgence de répondre aux risques climatiques pesant sur la Presqu’île, avec une référence constante aux dégâts de la tempête Xynthia, et de l’autre, un discours parfois lénifiant, rappelant que la Presqu’île a encaissé une montée des eaux de 1 m depuis le Moyen-Âge, alors… Ensuite, une opposition entre les discours « autorisés » sur la scène et des discours dissidents dans la salle, notamment de la part d’un président d’association vite ostracisé. 

Cette opposition s’est vue redoublée par une autre, attisée par le modérateur, entre les associatifs et universitaires invités et les élus locaux venus dire quelques mots ou plus : Sandrine Josso, députée de Loire Atlantique, Nicolas Criaud, maire de Guérande et président de Cap Atlantique, Christelle Chassé, maire d’Herbignac, Norbert Samama, maire du Pouliguen, et Franck Louvrier, maire de La Baule. 

Ce premier texte est consacré aux forces centrifuges à l’oeuvre durant cette journée. Le second reprendra le déroulé plus attendu des interventions. [ 9.2.2022 – Je compte toujours publier ce second article. Je pensais pouvoir m’appuyer sur la publication du compte-rendu de la journée et sur l’édition des vidéos des conférences sur internet. Cette dernière est prête depuis longtemps, à ce qu’on m’a dit, mais en attente d’une autorisation de la DREAL – espérons que lorsqu’aura lieu un événement climatique grave, la réaction sera un peu plus rapide… Quand au compte-rendu, il a été publié, mais la conférence du matin de M. Robin, sur laquelle je comptais m’attarder, ne fait l’objet que de 5 lignes. Patience ! ]

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Meredith Férard est la seule femme à siéger au milieu de la douzaine d’hommes qui composent la table-ronde de clôture. Elle présente sa structure, « Les artisans du sel ». Au premier rang du public, un brouhaha la fait hésiter. « Non, non, ne vous en souciez pas. Ne le regardez pas », lui enjoint le modérateur, Jean-Yves Defay, qui nous est présenté comme un ancien diplomate. Il est l’auteur d’un petit livre truffé d’anecdotes, à ce que l’on dit, sur les « Secrets de la valise diplomatique ». Quelques instants plus tard, il reprend : « On ne peut pas continuer comme ça. Je veux dire : on ne va pas continuer comme ça. J’étais supposé modérer la table ronde, mais je vais aussi devoir modérer l’assistance. Pour l’instant, la table ronde se comporte très bien. »

Je ne distingue pas les interventions du « perturbateur », qui évidemment n’a pas de micro. A la tribune, la scène est surréaliste. Tous les intervenants (sauf un), plusieurs paludiers, deux universitaires, le représentant de la DREAL (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement), les présidents des deux associations organisatrices, le maire du Pouliguen, détournent le regard, certains se contorsionnent quasiment, afin de ne pas voir celui qui leur fait face. Le modérateur propose la parole à ceux qui ne la demandent pas. Même au délégué de la DREAL qui a séché lorsqu’un organisateur lui a demandé si le risque de naufrage d’un chimiquier ou d’un pétrolier dans la zone de Saint-Nazaire faisait partie des « aléas » que son institution est chargée d’étudier. « Je ne comprends pas votre question », avait-il répondu avant de se raviser.

Une heure et 25 minutes ! Donnera-t-il la parole à la salle ?

Le modérateur fait durer la table ronde. Une heure. Une heure et 25 minutes ! Donnera-t-il la parole à la salle, comme il l’avait annoncé ? Certains orateurs parlent de la nécessité d’ouvrir le débat à tous les citoyens. Ils ne semblent pas remarquer la contradiction entre leurs paroles et la scène peu banale à laquelle ils participent. Je repense à ces réunions publiques d’il y a deux ou trois ans sur le projet de parc conchylicole de Loscolo, où les personnalités invitées faisaient de la « pédagogie » pendant plus d’une heure avant de laisser le public s’exprimer. Il fallait les dégrossir, supposaient-ils sans doute. 

Dieu qu’il est difficile de laisser s’exprimer « les gens », ceux de la base, les simples citoyens, le peuple – appelez-les comme vous voudrez – sans essayer à toute force de contrôler les mots sans doute monstrueux qui sortiront de leurs gosiers ! Il est tellement plus simple de débattre entre porteurs d’opinions autorisées, porteurs de discours lisses et un brin technos, qui vous évitent les mauvaises surprises… 

Alors, ce perturbateur, qui est-il ? Oh, il a passé l’âge d’être pris pour un trublion : il s’agit de Rémy Gautron, président de l’association ‘Guérande Environnement’ et de la ‘Fédération Presqu’île Environnement’, cheveux gris réunis en catogan et, derrière ses lunettes, des yeux qui en ont sans doute trop vu. Il a été personnellement invité à assister au colloque par Philippe Mulcey, président de ‘Patrimoine en Presqu’île’. Il faut reconnaître qu’il est remonté. Ce matin déjà, il a posé à Marc Robin, universitaire spécialiste du changement climatique, une question que celui-ci a purement et simplement ignorée : 

« Vous êtes un universitaire, mais vous êtes aussi un citoyen. Vous parlez d’’enjeux’ : nous, on appelle ça des permis de construire. S’il y a des risques, c’est parce qu’on accorde des permis de construire dans des zones où on sait qu’il y a un danger. Que faites-vous pour empêcher cela ? »

Pourquoi les chercheurs partagent-ils le vocabulaire des compagnies d’assurance ?

Aidé par le modérateur qui déjà redistribue la parole à quelqu’un d’autre, M. Robin ne cille pas, ne bronche pas. Pas un mot, ni un regard pour celui qui a sans doute considéré qu’à un certain moment, l’urgence climatique ne doit plus s’embarrasser d’urbanité et de convenances. 

Sa question est pourtant loin d’être absurde : pourquoi les chercheurs partagent-ils le vocabulaire des compagnies d’assurances, plutôt que celui des militants de terrain ? Je fais le lien avec mon article précédent ( http://www.penestin-infos.fr/lorsque-la-decision-est-prise/ ) : garder le silence face aux arguments de son interlocuteur, c’est une façon de nier sa légitimité à s’exprimer, de renvoyer ses arguments au fatras des propos de « non-sachants ». Je ne connais pas M. Robin, mais j’ai travaillé jusqu’il y a 4 ans dans le bâtiment voisin du sien. Je suis universitaire comme lui. Ancien, disons. 

Un universitaire est supposé récuser les dogmes et les idées préconçues. Sa vulgate, c’est l’esprit critique, qui était déjà au coeur de l’esprit des Lumières au 18e siècle. Il est curieux et il est « tendre », dans le double sens de « aimant les autres, ouvert à leurs propos, à l’écoute de leurs vérités » et de « prêt à se laisser déstabiliser par leurs mots et leurs idées, prêt à faire l’effort, soit de les intégrer, soit d’y répondre »

Je discute avec M. Gautron l’im-pertinent

A plusieurs reprises, je discute avec M. Gautron l’im-pertinent. Il vilipende les élus venus faire leur pub et une assemblée de somnifères. Quant aux universitaires, ils sont tous pareils, assène-t-il. Ils vous embarquent avec des concepts déconnectés de la réalité. Il a beaucoup vu, en plusieurs décennies de combats militants parfois victorieux. Pour autant, ce serait dommage qu’il verse, comme ses adversaires, dans un excès de dogmes et de certitudes. 

Cependant, l’heure est à l’urgence, pas aux bonnes manières. Meredith Férard dit que « ça » va arriver, mais qu’on ne sait encore ni quand, ni comment. « Ca » ? Un autre Xynthia, d’autres, encore pires et plus fréquents. Philippe Mulcey, président de ‘Patrimoine en Presqu’île’, rappelle qu’« on ne lutte pas contre la mer ». Nicolas Criaud, président de Cap Atlantique, annonce un vaste programme d’études sur deux ans, orienté pour l’essentiel vers la saliculture, afin d’engager des programmes concrets à échéance de 30 ans, de 50 ans. La prise de conscience est désormais telle, indique-t-il, qu’il faudra faire appel à tous. 

Tous ? Les associatifs, élus, chercheurs et professionnels ? Ou ceux qui ont mis un point d’honneur, dans leurs questions de ce matin, à se présenter comme « de simples citoyens » ? Démocratie représentative ou participative ? Samedi après-midi, en tous cas, le modérateur n’a pas redonné la parole à la salle, contrairement à ce qu’il avait annoncé. Il n’est pas excessif de dire que la parole a été « confisquée ». Mauvais début, ou accident de parcours ? On attend de voir la suite.

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