Une analyse-témoignage sur la mytiliculture à Pénestin (1), interview de Dominique Boccarossa

[ Les documents associés à l’enquête publique actuelle sur le projet “Loscolo” sont pour la plupart à sens unique. Ils sont là pour tenter de démontrer que la solution proposée est faisable et souhaitable. Mon grand-père disait que lorsqu’un bâton est tordu dans un sens, il faut le tordre dans l’autre sens pour le remettre droit. Je crois effectivement que le public de Pénestin, consulté dans le cadre de l’enquête publique, est en droit d’accéder à une information pluraliste. Je suis prêt à interviewer tout connaisseur du domaine de la mytiliculture, quelles que soient ses opinions vis-à-vis du projet de parc conchylicole de Loscolo.

J’ai choisi de donner la parole à D. Boccarossa, qui est certainement le meilleur observateur de la mytiliculture à Pénestin, que ce soit d’un point de vue économique, technique, environnemental ou politique. Il a son opinion, qui est connue, à propos du projet « Loscolo ». Mais vous constaterez très vite que dans cette interview, il est moins question d’opinion que d’une connaissance des faits qui va au plus près de la vie et des réflexions quotidiennes de ceux qui font vivre cette ressource essentielle de la commune de Pénestin. Gérard Cornu ]

Q – Comment va la mytiliculture ?

R – Aujourd’hui, d’après les chiffres dont nous disposons, la mytiliculture ne se porte pas trop mal financièrement, malgré les problèmes environnementaux – étoiles de mer, bloom planctonique, etc. – qui impactent la production depuis trois ans. Le chiffre d’affaires annoncé par les différents acteurs publics en 2016 varie de 7 à 12 millions d’euros selon les sources. Si on fait une moyenne, on est quand même à 9 ou 10 millions d’euros. Ce chiffre n’a fait qu’augmenter ces dernières années.

Cela est lié aux techniques de production intensive, dans le ramassage par exemple, qui d’ailleurs elles-mêmes induisent d’autres problèmes, notamment celui des déchets. Auparavant, les moules sur pieux avaient le temps de grossir, mais surtout, toutes les moules sur un même pieu grossissaient de la même manière. Aujourd’hui, avec le système de filet et de récolte sur les pieux, il y a beaucoup de petites moules inutilisables pour la consommation qui créent un déchet. Soit on les rejette à la mer, soit on les récupère pour autre chose, mais il n’y a pas de solution idéale. Axel Brière, avec son entreprise « Mussella », prévoit d’utiliser ces déchets pour les recycler.

Q – Le chiffre d’affaires augmente plus vite que la production. On parle d’une augmentation de la production de 15 % en 15 ans, et d’un chiffre d’affaires qui a presque doublé en 20 ans ?

R – Il y a eu une augmentation de la production, grâce notamment à la mécanisation dans les ateliers et à une organisation plus performante du travail. Cette augmentation varie selon les saisons, mais globalement la moyenne, qui était de 2500 tonnes il y a quelques années, est aujourd’hui de 3000 tonnes. On ne peut donc pas dire que le manque de place des mytiliculteurs dans leurs ateliers actuels ait eu une influence sur la production et sur le chiffre d’affaires. Ensuite, au niveau du prix des moules, il y a un marché qui est très demandeur, un vrai potentiel économique. Des mytiliculteurs m’ont dit que « la moule, tout le monde en demande », il n’y en a pas assez.

Q – Il n’y a pas des produits cuisinés, par exemple ?

R – Pas encore. Ça existe surtout pour les moules sur filière. Avec ce type « d’élevage »  la moule a une chair plus grosse, mais elle se conserve très mal : elle est toujours dans l’eau et quand on la sort, quand on la récolte, cela se passe directement sur le bateau. On ne la met pas en bassin, on l’emmène tout de suite pour en faire des produits de consommation transformés. Les moules de bouchots, plus résistantes, peuvent être conservées en dehors de la mer, en bassin de purification, il n’y a pas de souci. La qualité gustative de la moule sur filière n’est pas comparable avec celle des bouchots, qui est nettement meilleure. C’est son argument de vente.

Q – L’autre chiffre, c’est celui de l’emploi : entre 90 et 100 sur Pénestin. Donc là, on est stable ?

R – Ça ne bouge pas beaucoup. Il y a une chose qui m’a étonné dans mes petites recherches, c’est que l’emploi dans la mytiliculture a varié dès la naissance de celle-ci. Avant, les gens de Pénestin glanaient, si je puis dire. C’étaient des pêcheurs à pied professionnels ou non qui ramassaient les moules. Cela constituait un revenu complémentaire pour les petits agriculteurs. Du jour où deux des Charentais, Léon et Octave Métayer, se sont installés (je parle d’eux, mais il y en a eu d’autres) et qu’ils ont obtenu des concessions sur l’estuaire, vers 1905 environ, une partie de cette population a disparu. Cela correspond à l’apparition de la moule de bouchot par concession. En 10 ans, entre 1905 et 1915, la population a diminué de 40 personnes dans la commune de Pénestin. L’activité agricole n’était pas suffisante pour vivre. Si l’emploi est aujourd’hui stable il a tout de même diminué ces 30 dernières années. En 1990 il y avait environ 120 emplois à temps plein.

Il y a une question à laquelle je n’ai pas obtenu de réponse, c’est celle de savoir comment M. Métayer a pu obtenir autant de concessions. A l’époque, elles s’obtenaient sur Saint Nazaire ou La Baule et il y avait un vrai potentiel. Elles sont attribuées pour 30 ans et c’est toute la vie du mytiliculteur qui en dépend. M. Métayer a obtenu une surface de concessions assez énorme à l’époque, alors qu’il n’était pas de Pénestin. Le savoir-faire des Charentais allait bouleverser le paysage côtier et modifier la structure économique locale. Les paysans allaient devenir des ouvriers.

On retrouve ce schéma au niveau national avec la migration de la campagne à la ville,  de  la terre à l’usine, et plus tard encore, en 1957, dans la commune du Viviers sur mer, dans la baie du Mont Saint-Michel.

Pour résumer, le rapport à l’emploi dans la mytiliculture est variable. L’emploi a diminué avec la mécanisation. Avant les années 1970 et la construction du barrage d’Arzal, ils étaient une soixantaine de ce qu’on appellerait maintenant des auto-entrepreneurs. Aujourd’hui, ils sont 30. Il y a donc une diminution très nette du nombre de patrons

mytiliculteurs, et par contre, parallèlement à cela, des emplois ont été créés par les patrons qui avaient besoin de main d’œuvre, saisonnière ou non.

Q – Quand on dit entre 90 et 100, ce sont des emplois à temps plein. Est-ce qu’il reste encore des emplois à temps partiel ?

R – Les chiffres varient aussi selon les sources. A Cap Atlantique, on indiquait 80 emplois en 2013. A la mairie de Pénestin, on en compte 90. Au Syndicat conchylicole, ce sont 100, à temps plein. Je ne sais pas combien il y a de saisonniers. Ils en parlent très peu.

Q – C’est en tous cas une industrie assez prospère, avec des perspectives de rentabilité plutôt bonnes ?

R – Pour l’instant, c’est une production artisanale semi-intensive qui est liée à l’environnement, c’est-à-dire à la nature. Dans la baie du Mont Saint-Michel, c’est devenu une industrie avec un mode de production intensif. Les variations de la production sont liées aux problèmes de pollution dans la nature elle-même. On peut comprendre qu’il y ait une forte demande de moules de la part des consommateurs, mais on s’étonne surtout de la rapidité avec laquelle les mytiliculteurs ont eu envie de faire de la production intensive qui nuit à la production elle-même et à l’environnement dont ils sont pourtant dépendants.

On retrouve ce mode de production mortifère dans l’agriculture intensive. On se dit qu’ils veulent vraiment aller très vite, le plus vite possible. Pourquoi ? Un mytiliculteur, M. Thobie, qui a vendu aux Bizeul, m’a dit : « Moi, de toutes façons, je pars à la retraite, mais dans 10 ans, la moule c’est fini : qu’est-ce qu’on va récupérer de la mer ? C’est tellement pollué ! C’est fini. » Alors, je me suis dit : peut-être que c’est pour tout le monde la même chose, il ne reste plus que 10 ans, donc on a intérêt à produire un maximum en un minimum de temps.

Q – En fait, c’est la logique capitaliste de se développer toujours plus.

R – Le capitalisme s’adapte et c’est ce qui fait sa force. Il a toutefois des limites, humaines ou environnementales. Les limites de la mytiliculture sont d’ordre environnemental, comme pour toutes les activités qui utilisent directement l’espace naturel qui, je le rappelle, est un bien commun. Les activités privées, comme la mytiliculture, s’exercent sur des espaces publics. C’est d’ailleurs cette ambivalence que révèle l’enquête publique.

Q – Mais quand tu dis « trop de moules tuent les moules », quelle est la limite objective, qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné, on ne peut pas croître encore plus ?

R – Tout simplement parce que la moule se nourrit. Donc, plus tu mets de moules dans un même endroit, moins elles grossissent. C’est logique. La moule est un être vivant, et comme tout être vivant, elle a besoin d’un espace vital. Tout comme l’humain.

Q – Le plancton ne leur suffit pas ?

R – Non. Une production intensive dans un même espace génère des risques sanitaires.

Dans l’agriculture, c’est la même chose. On le constate dans les élevages de porc ou de poulets. On le découvre aujourd’hui aussi dans la pisciculture intensive.

Les mytiliculteurs ont prévu un projet pour une concession de 23 hectares face à la plage de la Mine d’or, à 500 mètres environ du rivage. La demande est en cours. Axel Brière précise qu’ils sont limités parce qu’on ne peut pas mettre plus de moules par rapport à l’espace existant. Dans le même temps, ils devront certainement libérer des parcelles situées à l’embouchure de la Vilaine. A cet endroit, la production de moules sur pieux a diminué de plus de la moitié. Ce n’est plus rentable.

Axel Brière, d’ailleurs, pour cette même raison, a eu l’idée de monter aussi un projet de 400 ha près de l’île Dumet, avec des moules sur filière. C’est un projet qui entrait dans une logique de développement durable. Il mixait les productions : coquilles Saint-Jacques, moules, huîtres, algues. Une étude a été faite, y compris environnementale. Je ne sais pas où il en est maintenant, s’il a abandonné. Son projet était assez ambitieux et il était très intéressant, parce qu’il voulait limiter la spéculation sur les concessions, donner la priorité aux jeunes de moins de 40 ans, et que ceux qui en avaient le moins, un peu comme en agriculture, soient servis les premiers. Et en priorité, évidemment, les Pénestinois. Ce genre de priorité est indispensable pour maintenir des familles toute l’année sur Penestin. En 30 ans, le lieu de résidence des mytiliculteurs a changé. La moitié réside aujourd’hui en dehors de la commune.

Q – Le projet de faire un parc conchylicole à Loscolo est lié à un discours selon lequel à un moment donné, la prospérité du secteur va toucher à sa fin si on ne se dote pas de nouveaux outils. Par exemple, face à la montée des eaux dans les zones submersibles. Est-ce qu’on peut évaluer cela ? Il y a en a certainement qui ont tendance à grossir un peu le danger, à faire croire que ça va mal. Souvent, quand on gagne beaucoup, on essaie de ne pas trop le montrer. Donc objectivement qu’est-ce qu’on peut dire sur l’avenir, à 10 ans environ ?

R – Je vais te répondre une chose très simple. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Axel Brière. Une fois, je voulais voir avec lui comment on pouvait élargir le débat par rapport au projet Loscolo, voir quelles pouvaient être les alternatives, et il m’a dit : Loscolo, ni moi ni personne n’en a rien à faire, parce que sans Loscolo, on fait de toutes façons du chiffre d’affaires. C’est ce qu’il m’a dit en substance. Loscolo ou pas, pour nous, le chiffre d’affaires est le même. Et il a raison d’ailleurs, parce que la moule est sur les bouchots, pas sur terre.

D’ailleurs, si on y regarde bien, depuis 25 ans que ce projet existe, il n’y a pas eu une seule fois une manifestation de mytiliculteurs dans les rues pour dire : qu’est-ce que vous attendez pour faire ce projet ? Cap Atlantique a fait une réunion en 2016 en disant : notre but est de motiver les mytiliculteurs à aller sur le site de Loscolo. A l’époque, les mytiliculteurs, pour les trois-quarts d’entre eux, étaient presque indifférents à ce projet. La population elle-même ne croyait pas à la faisabilité ni à l’intérêt d’un tel projet. Avant 2016, j’ai entendu des gens, élus ou pas, me dire qu’il était inutile de se poser des questions sur ce projet puisqu’il ne verrait jamais le jour.

Q – Alors pourquoi cette volonté de Cap Atlantique ? En 2016, c’était déjà inscrit dans le SCOT ?

R – Oui, il a été inscrit dans les documents officiels depuis 2010. Tout simplement parce que pour qu’un projet comme celui-ci puisse exister, il faut passer par des phases administratives obligatoires, soit par le remembrement, soit par le PLU. Il faut donc que ce document officiel cautionne un projet, et de même pour Cap atlantique qui a positionné le projet dans le DOG de 2011. Le projet sur papier est donc visible depuis longtemps. Mais il n’y a absolument aucune raison – mais vraiment aucune -, pour qu’il ait pris autant de temps. Si le projet avait réellement été porté par les professionnels depuis 2000, date officielle de la demande, il serait déjà réalisé depuis longtemps. Aujourd’hui, 20 ans plus tard les questions sur sa réactualisation économique ou environnementale doivent être posées.

Q – Alors pourquoi à ton avis Cap Atlantique a mis la pression à ce point depuis 2016, en essayant de motiver les mytiliculteurs qui ne l’étaient pas tant que cela ?

R – Il y a deux choses. La fin des mandatures, à la fois pour Yves Métaireau, président de Cap Atlantique, et J. C. Baudrais, maire de Pénestin. C’est le volet politique. Et parallèlement à cela, il y a des entreprises qui attendent quand même Loscolo depuis 10 ans. Comme le groupement « la Pénestin » au Logo, qui est à l’étroit dans des locaux mal entretenus, car la dizaine de mytiliculteurs associés regroupe sa production au même endroit. Les principaux intéressés, « la Pénestin », ainsi que la famille Bizeul, au Lomer, qui se trouvent eux aussi à l’étroit sur leur site, ont toujours déclaré leur intention de déménager.

La première chose qu’il faut savoir, c’est que ceux qui sont au Logo sont sur deux lots qui ont été rachetés par l’IAV, l’Institut d’aménagement de la Vilaine. L’IAV les leur prête depuis 10 ans. Mais surtout, comme ils n’ont pas de bâtiments qui leur appartiennent, il leur est peut-être plus facile d’investir dans les nouveaux bâtiments, que pour ceux qui possèdent déjà des bâtiments sur place et qui devront les abandonner pour aller à Loscolo, et à qui on va peut-être donner des compensations. Ou pas.

C’est beaucoup plus simple pour le groupement. Ils disent : nous on n’a rien. A Loscolo, on aura. Se rajoute à cela l’aspect spéculatif de la démarche. Pour que le groupement ait une valeur à la fois vénale et marchande, il faut qu’il y ait un bien mobilier, c’est-à-dire un lieu sur lequel l’entreprise existe. Si tu es logé gratuitement, tu ne vends pas, donc tu limites le potentiel d’une plus-value immobilière et ce qui s’y rattache, des bâtiments reliés directement à l’eau de mer, l’espace et un certain confort de la production jusqu’à l’expédition. Ce n’est pas comme les concessions de bouchots où il n’y a que de l’eau.

Mais il y a encore une  autre chose : parmi les principaux intéressés pour Loscolo, de cette entreprise en particulier, il y a deux mytiliculteurs, qui ne le sont en fait que depuis une quinzaine d’années. Ils étaient tous les deux en relation professionnelle avec des mytiliculteurs de Pénestin et le chiffre d’affaires de certaines entreprises les a motivés pour investir à leur tour dans la production mytilicole. Finalement, ils ont eu l’opportunité d’acheter des pieux. Il y en a un qui possède un atelier à hangar sec dans la zone artisanale du Closo, l’autre, un mareyeur, élargit en quelque sorte son activité.

Ce sont eux les plus intéressés parce qu’ils partent à la retraite bientôt, et ils ont donc tout intérêt à ce que Loscolo se fasse le plus rapidement possible pour pouvoir revendre au meilleur prix au moment de leur départ. Les entreprises coûtent de plus en plus cher et il est quasiment impossible pour un jeune de s’installer, c’est un peu comme dans l’agriculture. Cette surenchère ne profitera ni à la commune ni aux Pénestinois, et encore moins aux mytiliculteurs de Pénestin. La moitié des professionnels ne réside déjà plus à Pénestin parce que le foncier y est trop élevé. La commune perd ses habitants, bien qu’ils aient une activité annuelle sur le territoire. Et ce n’est pas le lotissement « Loscolo » qui les fera revenir.

Ce sont des éléments qui s’ajoutent les uns aux autres, qui se croisent. Mais évidemment, quand on en parle, on ne parle pas de tous les autres. Il y a ceux qui transmettent leur entreprise à leurs enfants, mais qui veulent éviter de leur mettre des dettes sur le dos en se déplaçant sur le lotissement, ceux qui vont arrêter à leur retraite en déconseillant leurs enfants de reprendre, ceux qui, après avoir investi dans des ateliers il y a 30 ans, ne voudront pas réinvestir dans un nouvel atelier, etc.

Q – Et les Bizeul, au Lomer ?

R – Eux, ils sont sur leurs propres terrains et dans des bâtiments qui leur appartiennent. Effectivement, ce sont de gros producteurs et c’est un fait qu’ils sont à l’étroit. Ils ont d’ailleurs construit des hangars ouverts, sans autorisation, sans rien demander à personne, même pas aux autres copropriétaires du site. Un jour je me trouvais à l’accueil de la Mairie et j’ai entendu malgré moi car les portes étaient ouvertes, une discussion entre M. Bizeul et le maire : « Tu aurais dû demander un permis… Bon… On verra. » On a vu : l’installation illicite est toujours en place. C’est peut-être un moyen pour dire qu’il n’a pas assez de place ou pour dire que le lotissement est incontournable.

Q – Comment se fait-il qu’au Lomer, les Bizeul sont à l’étroit, mais pas les Bernard ?

R – Je pense qu’ils sont tous à l’étroit. Quand tu discutes avec les uns ou les autres, tu te dis : c’est évident, ils sont vraiment à l’étroit. Quand tu vois l’atelier, les machines encombrent toute la pièce. Les bassins sont limite, et je pense que ça mériterait d’être modernisé, bien sûr. Simplement, quand on regarde la manière dont ça a été conçu dans ce lotissement du Lomer, on constate qu’il y a beaucoup de place perdue. Chaque bâtiment consiste en deux ateliers l’un à côté de l’autre. Et au milieu, tu as un trou. Un jour, j’ai dit à Frédéric Bernard : mais là ? Et il me dit : mais là, on passe ! Je lui dis : on peut faire le tour et passer de l’autre côté aussi, vous n’avez pas besoin d’avoir un gros trou ici pour pouvoir mettre le tracteur de l’autre côté, vous n’avez pas besoin de passer au milieu. Et je lui ai dit : tu sais, il suffit de donner ça à un bureau d’études en architecture pour qu’il réfléchisse à la façon de donner un maximum de surface sur l’existant, et ils trouveront. Ils sont bien capables de trouver des astuces pour optimiser l’espace. C’est leur métier. En termes de bâtiments, mais aussi en termes de circulation. Redéfinir un espace quand on en manque, c’est aussi un progrès par rapport à l’étalement urbain.

Q – Est-ce qu’à travers ce que tu m’as dit, on a fait le tour des différentes raisons qui expliquent l’empressement qu’on constate à partir de 2016 ?

R – En termes d’empressement, je comprends celui d’Axel Brière, lorsqu’il dit avoir besoin d’espace. Actuellement, lui aussi est dans un atelier qui a été racheté par l’IAV et il ne paie rien, Mais il y a beaucoup de choses que les mytiliculteurs ne disent pas. Il existe des divergences profondes entre eux. Parce qu’il y a des antécédents familiaux et aussi des intérêts qui s’opposent. L’affaire de la Concession des Mâts, située face à Damgan, illustre parfaitement cette situation. Deux parties se sont affrontées au tribunal pour 14 hectares. L’une exigeait un partage équitable, l’autre ne voulait pas, au point de frauder sur les autorisations administratives. Les raisons étaient aussi multiples mais M.  Tobie, ex-président du syndicat mytilicole de Pénestin, à l’initiative du projet, qui espérait une bonne plus-value pour son départ à la retraite, a dû être déçu. Depuis, il semblerait qu’ils se soient réconciliés. C’est dans leur intérêt car, s’ils veulent les 23 hectares face à la Mine d’or, ils devront se mettre d’accord.

Il y a aussi des jalousies, parce qu’Axel Brière est arrivé d’HEC avec des idées qui leur paraissaient trop novatrices ou pour d’autres, inopportunes. Axel ne se cache pas du tout de vouloir faire de l’argent, du profit, HEC ne forme par les futurs entrepreneurs à la philanthropie. Quoi que… J’en ai rencontré qui utilisaient leur savoir-faire pour d’autres causes. Le problème n’est pas de vouloir gagner de l’argent il est dans la manière de le faire. On pourrait aussi parler de ceux qui veulent rester au Logo ou au Lomer et de ceux qui ne quitteront ni leur maison, ni leur atelier au Scal.

Il existe selon moi plusieurs projets qui éviteraient une nouvelle artificialisation des sols, néfastes aussi à la mytiliculture. J’ai proposé au Syndicat mytilicole de demander à la municipalité de convertir les zones du Logo et du Scal en zones ACA, ce qui permettrait à certains d’agrandir ou de moderniser les installations existantes. Axel, président du syndicat, en a fait la demande. Le maire a refusé. C’était en 2017.

Pour te citer un autre exemple, nous avions, avec Bénédicte Dupé, rencontré des mytiliculteurs et nous leur avions dit que certaines alternatives étaient possibles. Ils nous avaient écouté sur plan. Nous leur avons dit : Pascal Métayer va vendre la pointe du Bile. Vous, vous êtes deux entreprises à vouloir absolument quitter les lieux là où vous êtes installés. Il y a 1,2 hectare à la pointe du Bile. A deux entreprises, ou même à trois, vous devriez avoir de la place.

Q – Donc tu leur proposais que ce soit eux qui rachètent à Pascal Métayer…

R – Oui, et c’est une alternative que nous avons proposée à Cap atlantique avant la première enquête publique. Il y a une cale d’accès direct, l’eau de mer à proximité. Une situation idéale. Ils disent : oui, franchement, c’est vrai. Et puis, je revois Sylvain Chiquet, je lui dis : et alors ? Et il dit : eh ben non, ça ne va pas être possible. Je lui dis : je ne comprends  pas, vous demandez 5000 m2 à Loscolo et là, vous allez avoir 1,2 ha, un accès direct, pas de transport, vous allez directement des pieux à l’atelier. Même si vous avez des transformations à faire, vous gagnez en retour, finalement. Surtout pour le pompage de l’eau mer, vous êtes à côté. Il me dit : oui, mais on ne peut pas passer les poids lourds sur la route du Bile. On ne peut pas faire le tour, en poids lourd, jusqu’à l’atelier Métayer. Je lui dis : tu n’as pas besoin de faire le tour, quel est le problème ? Il me dit : non, non, le maire nous l’a interdit et il a aussi dit : si vous n’allez pas à Loscolo, je vous empêcherai d’aller avec des camions à l’atelier du Bile.

Alors, est-ce que Sylvain Chiquet me dit la vérité ? Je pense que si ils ont abandonné une idée, ils ont dû se mettre d’accord, je ne sais même pas quel type d’accord. Mais il est certain que Pascal Métayer et le maire ont dû trouver un accord pour permettre au projet Loscolo de se réaliser. En effet, si les deux entreprises intéressées par Loscolo s’installent au Bile, Loscolo n’existe plus…

Q – Donc, tu ne sais pas à qui Pascal Métayer a vendu ?

R – Pour les ateliers, je ne sais pas, ça change en fonction des rumeurs, mais pour les concessions oui. Il a vendu beaucoup de pieux à Gilles Fouchet, du groupement « La Pénestin » et collègue de Sylvain Chiquet. Cela veut dire que même leur site de production est maintenant à côté des ateliers de la pointe du Bile. Ils rachètent d’autres pieux…

Q – Donc les ateliers, tu ne sais pas vraiment ?

R – Je ne sais pas. Il y en a qui ont dit qu’il allait créer un restaurant, puisque ça a été vendu à un mareyeur. Je ne sais vraiment pas. Le collègue de Sylvain Chiquet est mareyeur. Du coup, ils gardent le site en zone ACA et font des chambres d’hôtes, un restaurant avec vue sur mer. Mais dans ce cas, ce n’est plus un lieu de travail pour la production mytilicole. Il est même possible que la destination du site actuellement en zone ACA soit changée lors de la révision du PLU. Le président du Conseil régional de la Conchyliculture, M. Legal, pleure la perte des zones d’activités conchylicoles, mais là, il y a de fortes chances pour qu’il n’intervienne pas. M. Metayer a été lui aussi président du Conseil régional de la Conchyliculture. Il existe un lobbying très présent dans la profession. Comme partout maintenant. On le voit très clairement à Cancale où deux lotissements ont été créés avec l’appui d’un maire ostréiculteur intéressé par les projets. Si on n’est pas de la profession, notre avis ou nos incertitudes sont ignorées.

A suivre.

12 commentaires sur “Une analyse-témoignage sur la mytiliculture à Pénestin (1), interview de Dominique Boccarossa”

  1. Merci Gérard pour cette analyse et ces interviews des différents intervenants. J’ai trouvé ce sujet très instructif et particulièrement intéressant .
    Bravo pour ce blog.

  2. Merci pour ces échanges très intéressants, qui nous permettent de mieux se forger un point de vue.
    Pour ma part, j’ai de plus en plus tendance à penser que ce projet dit «d’utilité publique» est surtout au service d’une minorité d’intérêts privés sur Penestin, et tout cela avec nos impôts …
    Cordialement
    Jacky

  3. Bravo et merci pour ce travail sérieux et documenté qui nous donne quelques clés pour comprendre. Il faut croire que dans ce genre de projet, les vraies raisons ne sont jamais dites. On nous fait croire que c’est pour le bien commun, en réalité, on se demande si ce n’est pas pour la poche de quelques-uns…. On a vu souvent le même scénario se reproduire, à Notre-Dame-des Landes et ailleurs. Quant à la compensation, elle n’est qu’un honteux permis de détruire la nature.. en se donnant bonne conscience. Il faudrait défendre becs et ongles la moindre friche, le plus petit carré d’herbe. Sinon, quand nous en aurons fini de saccager la planète, et que nos petits-enfants et arrières petits-enfants nous demanderont : “Grand-Père, c’est quoi un oiseau ?”, “Grand-mère, c’est vrai que les oiseaux chantaient quand t’étais petite ? “, Nous ne pourrons leur répondre. Il n’y aura plus de moules, nous mangerons des criquets, une serviette humide sur les épaules pour se rafraîchir, pour ceux qui auront la chance d’avoir de l’eau.
    Bonne chance pour continuer à dérouler le fil de cette enquête minutieuse, et merci à vous qui cherchez le fond de vérité de cette histoire.

  4. Bonjour,
    Intéressant. Merci.
    Difficile de lire une tendance dans cette superposition de faits et d’intentions déclarées ou supposées. Peut-être parce que les motivations sont très diverses et qu’il y a une véritable complexité.

    J’aurais aimé trouver des précisions (par exemple de quel “risque sanitaire” il s’agit).

    Je ne comprends pas bien le sens de votre phrase : “En fait, c’est la logique capitaliste de se développer toujours plus.”
    Sauf erreur de ma part, les régimes communistes ou socialistes actuels ou passés ont toujours eu la même logique – consistant à augmenter la production et la productivité.

    Ce qui j’ai vu dans la remarque précédent de DB précédent la votre, c’est un projet économique à court terme, qui est loin de définir le capitalisme. Je ne suis pas persuadé que l’utilisation de “grands” mots à forte connotation politique soit heureuse dans un article à vocation d’information. Mais ce n’est qu’un avis personnel.

    1. Merci, Denis, pour ce commentaire constructif. Vous visez juste ! J’ai failli supprimer ma réflexion sur la “logique capitaliste”, mais je l’avais exprimée telle quelle dans l’interview (que nous avons enregistrée), sans doute avec des réminiscences de quelques lectures de Rosa Luxemburg lorsque j’étais étudiant il y a bien longtemps : elle pointait un accroissement sans limite jusqu’au moment où la planète entièrement colonisée signifie elle-même que l’on a atteint une limite). J’ai apprécié la réponse de Dominique Boccarossa sur la capacité d’adaptation du capitalisme et l’atteinte, justement, de limites, humaines et environnementales. Il fallait sans doute ma question un peu idiote pour susciter une réponse intelligente. La pratique du journalisme est une école d’humilité !!

  5. On sent un travail bibliographique réel pour étayer l argumentation historique de la mytiliculture qui, par définition, est un mode d’élevage EXTENSIF.
    Les prises de position en deuxième partie d interview sont beaucoup plus subjectives et dérapent sur des interprétations calomnieuses et non-fondées.
    -Comment Dominique peut-il estimer que les locaux du groupement La PENESTIN sont mal entretenus ?
    -Sur quoi se fonde son affirmation de l origine de ma motivation à m installer dans la mytiliculture ?
    -Sa théorie fumeuse sur mes velléités spéculatives en lien avec le projet de Loscolo est totalement infondée…. preuve en est; j ai déjà vendu mes parts…. et à jeune de Penestin.
    -Son inquiétude sur le site de la pointe du Bile ne tient pas, il est absolument interdit de créer un restaurant et encore moins des chambres d’hôtes en zone ACA.
    – Ses doutes sur la non-volonté du comité régional conchylicole à défendre les zones ACA ne repose sur aucun élément, le CRC a prouvé maintes fois son engagement à maintenir ses zones en agissant juridiquement.

    La liberté d’expression est un droit, la calomnie est un délit.

    Dominique, dans le doute abstiens toi.

    Sylvain Chiquet

    1. Je n’ai jamais abordé le mode d’élevage « extensif » dont parle Sylvain. Par contre, je souligne une similitude avec l’agriculture intensive et le mode de production pratiqué dans la Baie du Mont Saint Michel à Viviers sur mer. Les mytiliculteurs connaissent parfaitement les incidences de la production intensive qui nuit, à terme, sur la production elle-même. Ce n’est pas pour rien qu’il existe des règles interne à la profession notamment en ce qui concerne le nombre de pieux et un espace bien défini entre chaque pieux, « trop de moules tue les moules ». Si les locaux au Logo ne sont pas vraiment « entretenus », le terme n’est peut-être pas approprié, c’est tout simplement parce qu’il paraît inutile de faire des travaux de modernisation quand on espère déménager à brève échéance. Le métier de mytiliculteur est difficile. Les corps sont durement sollicités et l’anxiété d’une mauvaise année est celle de tous les entrepreneurs. C’est la partie noire. Mais ce métier, selon son mode d’exercice peut aussi rapporter de l’argent. C’est la partie blanche. Les motivations sont bien sûr aussi nombreuses que différentes pour chacun. On peut aimer ce métier mais je ne pense pas que l’on rentre en mytiliculture comme dans les ordres. J’ai des amis commerçants, chef d’entreprises, directeurs de sociétés et pour eux, le mot « spéculation » traduit leur intention de tous les jours : miser sur quelques chose pour en tirer profit. Tous les entrepreneurs ou créateur d’entreprises cherchent le profit qui induit un bénéfice. C’est un des moteurs de l’activité. Après comment répartir un bénéfice est un autre problème. Mon inquiétude pour la pointe du Bile est bien réelle. Il existe déjà sur le site des logements « ouvriers », et deux autres un peu plus à l’écart. Il suffit d’un pas pour basculer dans des gîtes ruraux. Et si on ne fait pas un « vrai » restaurant on pourra toujours ouvrir une ferme conchylicole avec tables d’hôtes et vente des produits de la mer. Quant au faite que les zones Aca disparaissent les unes après les autres, surtout celles dans la bande des cent mètres, ce n’est pas dû à « la non-volonté du comité régional conchylicole » c’est le constat accablant du président lui-même dans le mensuel du Morbihan, je cite : « des bâtiments sont transformés en résidence (…) le droit l’interdit mais il n’y a pas de contrôle (…) les gens font ça de manière insidieuse (…) et au bout de cinq ou six ans c’est trop tard pour déposer un recours ». Un simple changement du pourcentage de parts dans une société peut aussi, comme le cheval de Troie, convertir une zone. Cette question sur la perte des zones Aca a d’ailleurs été abordée lors de notre entretien il y a un an avec Cap atlantique. La réponse fut brève et claire : « même la SAFER ne peut rien ». Tu as raison Sylvain, j’ai des doutes. Surtout lorsque des omissions, des contradictions ou des différends entre acteurs accompagnent ce projet. J’ai des doutes lorsque je lis dans les conclusions de la précédente enquête publique que les ateliers du Bile pourraient être transformés en parking, des doutes aussi quand la moitié des observations émanent d’officiels qui ne vivent pas à Penestin…

  6. Bonjour
    merci pour cette analyse argumentée et pleine de bon sens
    j’aimerais cependant ajouter je ne crois pas à la générosité de Cap Atlantique
    pour le Baulois, Pénestin n’est pas une station balnéaire ( on ne peut pas s’y baigner à cause des huîtres et des moules )
    Je suis donc très inquiet sur le devenir de cette zone artisanale
    la commune de Penestin ne maîtrisera pas la venue des entreprises autres que les mytiliculteurs
    on nous donnera donc tout ce que La Baule ne veut pas et qui a besoin d’eau de mer
    on nous endormira par des études qui prouveront qu’il n’y aucun dommage sur l’environnement et nous récupérerons pollutions et autres inconvénients
    très cordialement

    1. “générosité de Cap Atlantique” ? Cap At n’est pas une annexe de Saint-Vincent de Paul !
      “Pénestin n’est pas une station balnéaire” ? Ah ?
      ” venue des entreprises autres” : ah oui, ça c’est la poisse !
      Pas cordialement.

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