« Avec toutes ces antennes, la France ressemblera bientôt à un hérisson ! »

Au Conseil Municipal du 7 décembre 2020, les deux franges de la minorité avaient un instant semblé se rapprocher. M. Lebas avait indiqué vouloir revenir « sur ce qu’a dit M. Boccarossa » concernant l’installation d’une nouvelle antenne relais dans la zone du Pouldour ( http://www.penestin-infos.fr/a-penestin-les-antennes-fleurissent-et-la-democratie/ ) Tous les recours contre les opérateurs, avait-il ensuite expliqué, n’étaient pas voués à l’échec, faisant référence au « Maine-et-Loire » sans donner plus de détails.

Une recherche assez basique sur internet mène au village de Blaison-Saint-Sulpice, dont les habitants sont effectivement parvenus à empêcher que l’opérateur Orange installe une antenne relais de 42 m de haut, excusez du peu, à 60 m à peine des habitations… Blaison-Saint-Sulpice est situé à une trentaine de kilomètres au Sud-Est d’Angers et compte 1200 habitants. Un village charmant, à ce qu’il semble, « petite cité de caractère », mais dont les habitants ne sont pas vraiment du genre à se laisser faire. Au point de faire une demande en bonne et due forme afin de renoncer à ce titre : à quoi bon en effet remplir 15 formulaires à chaque fois que l’on veut changer une poignée de porte si à côté de cela, une puissante société versant de gras dividendes à ses actionnaires se permet d’enfreindre toutes les règles de protection du patrimoine ?

3 mois plus tard, le maire démissionne

Les parallèles sont nombreux entre Blaison-Saint-Sulpice et Pénestin ! L’affaire commence début 2019. Le maire, Dominique Ozange, Divers Droite, signe une « décision de non-opposition à la déclaration de construction » d’une antenne relais dans le hameau de La Touche. Il n’en avertit ni les habitants, ni même son Conseil Municipal. Certes, il en avait le droit : les règles n’ont cessé d’évoluer depuis la loi Élan en 2018, afin d’atteindre l’objectif de couvrir les régions rurales et de résorber les « zones blanches » en simplifiant les procédures d’implantation de nouvelles antennes. L’autorisation du maire peut prendre deux formes : un simple « acte du maire », ou bien la signature « sous couvert » d’un vote du Conseil Municipal. En choisissant  l’« acte du maire », l’édile de Blaison-Saint-Sulpice allait au-devant d’une double fronde : celle des habitants, furieux de découvrir dans le bulletin municipal un projet déjà tout ficelé, et celle de l’équipe municipale, furieuse elle aussi d’avoir été tenue à l’écart. Le Conseil Municipal vote contre le projet à l’unanimité moins une seule voix, celle du maire. La situation devient intenable pour M. Ozange, ancien cadre d’Orange – cela ne s’invente pas -, qui finit par démissionner 3 mois plus tard, en avril 2019.

Le fait de ne pas connaître les personnes impliquées me laisse peut-être plus libre d’émettre quelques hypothèses pour essayer de comprendre les raisons de cet engrenage. On peut imaginer que ce maire était resté attaché à l’idéologie longtemps très vivace du développement économique, du toujours plus, de la multiplication des équipements. Il était par ailleurs influencé, je suppose, par la culture d’entreprise d’Orange, société britannique rachetée par France Télécom en 2000 et qui a ensuite absorbé sous sa marque toutes les anciennes activités de téléphonie de la maison-mère, jusqu’à devenir en 2013 la nouvelle appellation du groupe. Parmi ses cadres, et plus encore ses anciens cadres aujourd’hui à la retraite, tous se souviennent du Plan téléphone sous Giscard, du Plan télématique sous Mitterrand, et même du Plan Calcul dans les années 1960.

Une caste issue des grandes écoles, qui navigue avec aisance entre l’entreprise et les cabinets ministériels

Que de plans ! C’étaient les riches heures de la DGT (direction générale des Télécommunications, branche la plus rentable et la plus innovante des PTT, puis P&T !) Il est probable que le quinquennat actuel restera de même dans les mémoires comme celui d’un vaste plan de maillage du territoire par les réseaux (concurrents ?) de la téléphonie mobile et de la fibre optique. Dans les années 1960, un important débat faisait rage à propos de la technocratie et de ses cadres dirigeants qui étaient en train de subtiliser le pouvoir aux politiques traditionnels. Rien à voir, pourtant, avec les directions vieillissantes des pays d’Europe de l’Est. En France, on trouve aux manettes une caste sortie des grandes écoles et qui navigue avec aisance entre le public et le privé, entre l’entreprise et les cabinets ministériels. Il ne fait guère de doute que les deux dernières décennies marquent les nouvelles avancées d’un management « scientifique » à base d’évaluations et d’algorithmes, de moins en moins soucieux du « facteur humain », et de plus en plus certain que sa rationalité ne laisse place à aucune alternative.

Tout ceux qui ont connu ces dernières années les conflits générés par l’extension sans limites de ce nouveau management, dans la banque, la santé, l’éducation ou, bien entendu, dans les collectivités, savent que les nouveaux pouvoirs se caractérisent avant tout par la certitude que leurs choix sont les seuls possibles et ne prêtent le flanc à aucune discussion. Orange, sans même revenir sur la vague de suicides chez ses cadres il y a une dizaine d’années, fait la même chose que tous les autres : elle se situe juste un cran au-dessus.

Ceux qui souhaitent le retour de la lampe à huile

L’affaire est entendue : oui, la France a besoin de se doter d’un réseau d’antennes performantes. Oui, le choix des emplacements répond à une logique de rentabilité en restant proche des routes et… des habitations, d’autant plus que les nouvelles antennes, celles qui permettront le passage à la 5G, sont plus hautes, mais diffusent moins loin. Oui, les protestations des riverains se règlent devant les tribunaux. D’ailleurs, la loi est devenue très favorable aux opérateurs. L’équipement du pays avance à marche forcée, sans égards pour les opposants soupçonnés de souhaiter le retour de la lampe à huile. On assume sans ciller de décevoir les membres de la Convention Citoyenne pour le Climat qui avaient réclamé un moratoire. On passe outre les avis de ceux, comme Gérard Larcher, président du Sénat et numéro 3 de la République, qui jugeait anormal que les premiers déploiements de la 5G se fassent sans aucune étude concernant leur impact environnemental (cf. : http://www.penestin-infos.fr/le-collectif-du-pouldour-hausse-le-ton-face-au-projet-dantenne-relais-bouygues-sfr/)

Avec de tels soutiens, il est évident que les opérateurs ne s’embarrassent guère de discuter avec les élus ou avec les collectifs de riverains. Ils ont le droit et la science pour eux, ILS ONT RAISON, c’est tout. La phrase d’un élu pénestinois prononcée au Conseil  Municipal de décembre dernier symbolise bien le rapport de forces établi entre opérateurs et collectivités locales : « Monsieur Michel BAUCHET rappelle à l’assemblée que la commune a déjà proposé un terrain à Orange à Loscolo mais celui-ci ne leur convenait pas. » (https://www.mairie-penestin.com/upload/pvcm07122020.pdf , p. 21) La proposition de la commune de Pénestin « ne convenait pas » à Orange. On en a donc fait une autre. Le pot de terre contre un pot de fer décomplexé.

Il faudra un an et demi avant que l’opérateur renonce à son projet

Retournons à Blaison-Saint-Sulpice. Un nouveau maire est élu, qui se déclare opposé au projet d’antenne. Il faudra pourtant un an et demi avant que l’opérateur renonce à son projet. Pourquoi ? Parce que le maire est tenu par la « décision de non-opposition » signée par le maire précédent. 5 recours et référés suspensifs sont déposés, mais les requérants se voient systématiquement déboutés. C’est sur le terrain du conflit social que tout va se jouer.

Une association est créée, de même qu’un site internet dont les liens permettent de consulter les articles de presse et les courriers adressés tous azimuts par les membres de l’association (https://www.anjou-bike-center.com/ ). La députée de la circonscription, le préfet, la mission UNESCO Val de Loire, le Parc Naturel Régional Loire-Anjou-Touraine, les Bâtiments de France et d’autres encore sont sollicités et suivent attentivement l’affaire. Les rebondissements sont nombreux. Alors qu’Orange fait la sourde oreille, le préfet du Maine-et-Loire convoque ses représentants à une réunion avec les élus. Un emplacement alternatif est proposé, qu’Orange refuse. La seule concession est une réduction à 30 mètres de la taille de l’antenne… Un panneau de travaux est installé, que les résidents sont accusés d’avoir dégradé. Une lettre envoyée à la Préfecture « s’égare ». D’autres, adressées à diverses personnalités, ne recevront aucune réponse.

L’argument technique continue à prévaloir

Le 20 septembre 2020, jour de la Fête du patrimoine, une manifestation, « conviviale, festive et dans le respect des gestes barrières », est organisée. Les riverains réalisent un film à cette occasion (https://www.youtube.com/watch?v=NjaekKw6DzM ), et France 3 Pays de la Loire ouvre son édition du jour sur l’événement (http://www.anjou-bike-center.com/videos/FR3_20_09_2020.mp4 ). Robert Mitu, délégué régional Orange Pays de la Loire, déclare dans ce reportage : « Nous avons toutes les autorisations. Nous avons eu des échanges avec les élus qui nous avaient proposé un nouveau site, et nous avons montré que le site que nous avions proposé au projet initial sur La Touche était le meilleur en termes de couverture. » Après un an et demi de mouvement des habitants, c’est l’argument technique qui continue à prévaloir pour l’opérateur.

Deux semaines plus tard, les travaux démarrent. Un premier référé-suspensif est rejeté. Mais surprise ! lors de l’audience du Tribunal administratif de Nantes pour un deuxième référé déposé par un autre habitant, Orange annonce qu’elle abandonne son projet. Petit geste de mauvaise humeur, l’opérateur avait averti auparavant le maire en lui demandant de retirer la « décision de non-opposition », ce qui permettait au tribunal de conclure à l’absence d’urgence et de condamner l’habitant requérant aux dépens… Orange déclare au Tribunal : « Les éléments constitutifs s’avèreraient après déclaration préalable devenir inappropriés techniquement ou entachés d’illégalité. » Ou comment avoir encore RAISON, même lorsque l’on doit renoncer à son projet…

Épilogue pénestinois

L’expérience de Blaison-Saint-Sulpice est riche d’enseignements. Elle questionne le mouvement enclenché à Pénestin. La première question est celle de savoir si une « décision de non-opposition » a été signée par le maire, et quand. Je n’ai toujours pas la réponse, alors qu’il s’agit d’une information que la mairie devrait fournir à ses administrés s’ils en font la demande. Si une telle décision a été signée, elle ne l’a pas été « sous couvert » d’un vote du Conseil Municipal. Le seul vote, lors du Conseil de décembre dernier, concernait la location du terrain du Pouldour, appartenant à la mairie, à la société Phoenix en vue d’y construire l’antenne pour le compte de Bouygues et SFR. Ce vote ne portait pas sur l’autorisation accordée à Bouygues et SFR.

Le maire, dont les pouvoirs sont très réduits dans ce domaine, peut-il réellement se désengager maintenant vis-à-vis d’eux et de Phoenix ? L’expérience de Blaison-Saint-Sulpice, comme celle d’autres communes, montre que les mairies sont soumises au « bon vouloir » des opérateurs qui peuvent considérer, à un moment donné, qu’un dossier représente finalement plus d’inconvénients que d’avantages ou, à l’inverse, choisir de reprendre la main. Le maire a sans doute tort de « mépriser » comme il le fait un collectif qui a recueilli 300 signatures sur sa pétition. Il aura peut-être besoin de s’allier avec eux à l’avenir si les opérateurs redeviennent trop gourmands. Eux aussi sont engagés, vis-à-vis de l’État, et doivent satisfaire des objectifs chiffrés en termes de couverture du territoire… Quant à Cap Atlantique, le rôle qu’elle est capable de jouer est pour le moment une énigme, à défaut de la moindre communication sur le sujet…

“Il y a toujours des gens qui râlent, alors…”

Il n’y a pas que le Pouldour. L’emplacement envisagé à Kerséguin aurait aussi été abandonné… Quant à l’antenne de Kerfalher, elle se porte bien, merci : les riverains situés autour du terrain de camping ont été pris par surprise. Pour certains, c’est le cas idéal. Au point qu’on en vient à se demander si la démocratie elle-même n’est pas en fin de compte bien contraignante : informer les citoyens, consulter, écouter les opposants, tout cela prend du temps et semble inutile à certains qui considèrent « qu’il y a toujours des gens qui râlent, alors… » À Pénestin, on a supprimé le Bureau municipal institué par le maire précédent pour ne pas avoir à y écouter les voix de l’opposition, souvent constructives et compétentes pourtant, ce serait malhonnête de ne pas en convenir. Et on emploie même le terme de « démocratie participative » pour désigner un questionnaire auquel on ne peut répondre qu’en cochant la case « pour » ou « contre », sur un sujet aussi complexe que l’autorisation ou non des chiens et des chevaux sur les plages de la commune !

Le maire de Blaison-Saint-Sulpice a été poussé à la démission parce qu’il avait négligé les voies de l’information et de la consultation et s’était replié sur un exercice solitaire du pouvoir. Les habitants de la « petite cité de caractère » connaissent les deux sens du mot « caractère » ! Ils savent qu’ils ne sont pas encore tirés d’affaire, car l’emplacement alternatif n’a pas encore été choisi et il reste une audience fin mars au tribunal administratif. Mais depuis qu’ils ont pris la parole, ils ne la lâchent plus et c’est réellement rafraichissant d’entendre la présidente de leur collectif dire qu’« avec toutes ces antennes, la France ressemblera bientôt à un hérisson ! » ou bien qu’à défaut de dérouler le « tapis rouge » à la société Orange, ils leur ont déroulé « le tapis orange ! » La démocratie, pouvoir du peuple, pour le peuple et par le peuple, c’est aussi le réveil d’une parole libre… qui sait se faire entendre, en rompant le silence que certains aimeraient lui imposer.

PS. On me dit que la mairie n’aurait pas renoncé à implanter une antenne à Kerséguin. L’argument attribué à Cap Atlantique à propos de l’antenne du Pouldour est celui de la proximité d’une zone de campeurs-caravaniers, au Clos du Béchi. Pourquoi et quels sont les autres arguments : mystère. Cela ne vaudrait pas pour Kerséguin où l’on pourrait par conséquent maintenir le projet d’antenne. Sauf que ce hameau comporte lui aussi une zone de campeurs-caravaniers, deux fois plus grande, et située à 30 mètres à peine de l’emplacement prévu. Que penser ? Que signifient de tels propos ? On me dit aussi que certains parmi les campeurs-caravaniers de Kerséguin ne sont pas décidés à se laisser faire… Hypothèse : on renonce à placer une antenne au Pouldour pour ne pas avoir à affronter le collectif qui s’y est créé et on maintient Kerséguin parce qu’il n’y a pas de collectif, ni de pétition… du moins pas encore. On en est à tenter de démêler le vrai du faux, c’est assez désagréable…

3 commentaires sur “« Avec toutes ces antennes, la France ressemblera bientôt à un hérisson ! »”

  1. Enfin tout ça c’est le serpent qui se mord la queue… Nombre de Pénestinois se plaignent d’un réseau de faible qualité, de zones « blanches », de l’impossibilité de recevoir ses messages à son domicile mais personne ne veut d’une antenne près de chez soi… Or, une antenne en plein champ avec aucune habitation autour ne résoudra point le problème de couverture. Vous pointez dans votre article la rentabilité alors qu’en fait il est davantage question de l’amélioration d’un service aujourd’hui nécessaire pour tous les citoyens dans leurs actes quotidiens parce que désormais c’est l’usage de communiquer ainsi, du médical en passant par le scolaire et l’administratif…

  2. Ping : Les déclarations du maire sur le renoncement à l’antenne du Pouldour - penestin-infos

  3. Si les campeurs caravaniers, fidèles électeurs de notre maire qui leur a promis des rêves irréalisables pendant sa campagne, s’en mêlent, il peut y avoir de l’eau dans le gaz..

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