Ce vendredi soir, quelques 35 personnes sont réunies au Bateau Livre. Elles représentent une sorte de condensé de la population de Pénestin. Ni look spécialement écolo, ni blagues potaches ou invectives sur l’équipe municipale actuelle que certains imaginaient trouver là. Le public de ce soir est détendu mais concentré, souriant mais concerné. Et visiblement, peu d’entre eux souhaitent s’attarder sur le constat : on regarde au-delà. Ce que résume Jean-Paul : « On sait ce qu’on ne veut plus. Maintenant, la question, c’est de savoir ce qu’on veut mettre à la place. »
Martine est une des rares à s’y attarder quelque peu : « Avec la mairie actuelle, on ne participe à aucune décision et on n’est au courant de rien. Il faut que ça bouge. Faut y aller ! » L’alternative est simple, poursuit-elle : « une mairie, c’est supposée être une ‘maison commune’. Il faudrait qu’on arrive à s’y sentir vraiment chez nous ». Dans le ‘Journal des bonnes nouvelles’ édité par la commune de Saillans dans la Drôme que beaucoup prennent pour modèle, Tristan Rechid, membre du « Comité des Sages », déclare : « Il faut prendre les termes au pied de la lettre. La démocratie, c’est le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple. Un élu, c’est un représentant du peuple, ni plus ni moins. Le vrai politique, c’est l’habitant de base d’une commune, qui dispose d’une expertise d’usage. Nous sommes tous experts de notre propre vie. »
« Saillans nous inspire, mais nous ne les copions pas. »
Tristan Rechid, justement, était venu faire une conférence et organiser une journée de formation à Pénestin il y a 6 mois (cf. article « Pas de programme, pas de candidat », 4.11.2018) Depuis, certains craignent que l’on se contente d’effectuer une sorte de copier-coller des méthodes qui ont réussi à Saillans sans tenir compte des différences de contexte. « Saillans nous inspire, mais nous ne les copions pas », répond Bénédicte Dupé. « Évidemment, poursuit-elle, nous ne pouvons pas tout réinventer. Nous coïncidons nécessairement avec eux sur certains points, mais le groupe GLP (Gouvernance locale partagée) a réalisé un travail considérable ces 6 derniers mois avec des réunions quasi hebdomadaires. »
Ce groupe GLP a défini en premier lieu sa finalité : « inciter les citoyens à prendre une part active dans la vie de la commune ». Il s’agit qu’ils puissent exercer en continu un contrôle sur les choix et sur l’exécution des décisions qui auront été prises. Tout cela est rendu possible par un « schéma municipal », où le Conseil municipal n’est en fin de compte qu’une chambre d’enregistrement de décisions élaborées, discutées, priorisées plus en amont, avec une « assemblée citoyenne », des commissions, des « groupes action – projet », et un « observatoire de la GLP » qui vérifie que ces différents structures restent conformes à la conception de départ.
Ce même groupe a par ailleurs défini des « fondamentaux » qui correspondent plutôt à une « vision » qu’à un « programme », ce dernier devant résulter des différentes réunions publiques où les habitants seront invités à le « co-construire ». Les fondamentaux font une large place à la transparence dans l’action et dans l’information, considérée comme un bien commun. À la responsabilité : « de ce que nous faisons, mais aussi de ce que nous laissons faire ». À l’intérêt général qui doit primer sur les intérêts particuliers. Parmi les préoccupations jugées centrales figurent également les effets du changement climatique. Et la critique d’un style de vie « qui ne repose aujourd’hui que sur la consommation et la possession de biens matériels », sans se préoccuper des conséquences pour les générations futures.
une technique reposant sur le « consentement »
Précisons enfin que le groupe GLP a mis en application, dans toutes ses séances, une « méthode » d’animation de réunions destinée à favoriser l’épanouissement de l’ « intelligence collective ». Toutes les décisions sont collectives, mais elles ne résultent pas d’un « débat » au sens classique, ni d’un vote à la majorité : la technique repose sur le « consentement » et sur des tours d’objections. Un premier tour de table permet de savoir s’il y a des objections, un deuxième de les exprimer, et on s’efforce ensuite de faire évoluer la proposition discutée jusqu’à ce que les personnes acceptent de lever lesdites objections.
C’est un peu complexe, et un peu lent (au détriment, sans doute, d’autres tâches, comme le suivi du dossier Loscolo ou le lancement prévu au départ dès janvier des premiers échanges avec la population). On se demande s’il faut se réjouir de voir surgir une vraie démocratie en actes, avec des outils capables de l’orienter et de la canaliser. Ou bien si les « rituels » mis en place ne sont pas sources de nouvelles lourdeurs et de nouvelles rigidités. Dominique Boccarossa, par exemple, a quitté le groupe GLP en février en s’étonnant de ces « discussions sans débats » qui gomment une part de conflit qu’il jugeait indispensable. Indispensable et admise au moins depuis Socrate, c’est-à-dire… les débuts de la démocratie. Donnons néanmoins quitus à Bénédicte Dupé, pour qui « rien n’est gravé dans le marbre ».
La question revient lors du « débat » – je n’ose plus prononcer ce mot sans guillemets ! – : Victorine explique que le schéma municipal proposé n’est pas une garantie qu’il n’y aura pas de conflits. Ils sont inévitables et il faudra savoir les gérer. Arthur fait un détour par l’urbanisme : « dans une commune où la terre agricole se négocie à 10 euros le m2 alors que la même terre, une fois rendue constructible, en vaut 300, il y a de telles différences et de telles incompatibilités qu’il sera toujours difficile de faire s’accorder les citoyens entre eux. »
« On ne vous élit pas parce qu’on vous aime »
Jean Dupé, ancien président d’une communauté de communes équivalente à Cap Atlantique en Normandie, souligne les contraintes d’un contexte juridique où le maire dispose de prérogatives en tant qu’« exécutif », et où le conseil municipal constitue la principale et souvent la seule instance de pouvoir “législatif”. Un tel schéma n’est pas prévu pour accueillir facilement des expérimentations comme la Gouvernance locale partagée. Il ajoute, malicieux, en se tournant vers sa fille : « On ne vous élit pas parce qu’on vous aime, mais pour empêcher un autre de se faire élire. »
Comme souvent, certaines interventions renvoient au thème de la peur. « Il ne faut pas faire peur aux habitants de la commune. Le but est quand même de se faire élire », énonce Jean-Baptiste. Et puis, ici comme ailleurs, on constate la réticence – la peur ? – de beaucoup à apparaître sur les listes. Et que dire de ceux qui conseillent au groupe GLP de ne pas trop dévoiler ses techniques et ses plans, de crainte que d’autres viennent leur chiper leurs meilleures idées !
En écoutant la diversité des interventions de cette soirée, on se dit qu’il y a au moins une certitude : les Pénestinois sont majeurs et autonomes et ils ont un profond désir de démocratie. Ils ne suivront certainement pas servilement un modèle comme celui de Saillans. Si la GLP arrive aux affaires en 2020, ce sera assurément une page originale qui s’écrira, propre au contexte d’une commune littorale, touristique et… plutôt turbulente que suiviste !
Et pour terminer, une question qui en turlupine quelques uns : Bénédicte Dupé sera-t-elle candidate au poste de mairesse de Pénestin en 2020 ? Eh bien, vous en serez pour vos frais si c’est ce que vous désirez savoir. Bénédicte Dupé joue la carte du collectif et s’imaginerait même, à titre personnel, aussi bien dans un rôle d’animation que de représentation. Le groupe GLP est le premier à manifester officiellement ses ambitions pour les prochaines Municipales, mais il a choisi de le faire en privilégiant un projet et une équipe : pas une « personnalité ». C’est peut-être l’une de ses originalités face aux autres candidatures qui attendent, semble-t-il, l’automne prochain pour se dévoiler.
” on ne vous élit pas parce que l’ on vous aime ”
dit un intervenant .
On peut aussi ne pas voter car on n’en peut plus de voter ” contre” ,de faire un choix par défaut , bref de voter sans aimer .je ne voterai plus QUE parce que
j’ aime . Sinon, je ne voterai pas .
Article intéressant à plus d’un titre.
Le problème de la communication et de la transparence municipale est un sujet majeur mais aussi récurrent dans les communes, qu’elles soient petites ou grandes, ne voulant en prendre pour exemple que celle où je réside principalement et où depuis plus particulièrement deux ans on ne sait plus qui « gouverne » entre un Maire en fonction addict, son (ex-)mentor en politique qui l’a imposé dans le fauteuil ou les deux principaux fonctionnaires municipaux qui l’encadrent !
Malgré sa petite taille Penestin n’échapperait donc pas à ce mal qui atteint les élus « sachants » ou se croyant tels au détriment des habitants ; à lire le bulletin municipal ou autres, il paraît bien effectivement y avoir quelques problèmes entre majorité et minorité(s). Avec le fait particulier de l’existence sur son territoire d’une association intransigeante voire outrancière qui depuis des années a, de mon point de vue, plus amené à fermer les portes de part et d’autre sur les sujets sensibles que l’inverse.
Le problème de la commune est peut-être – sans doute même – d’avoir trop misé durant des décennies sur uniquement deux vecteurs au détriment du reste : d’un coté la station balnéaire populaire avec tous les problèmes que cela a engendré au fur et à mesure en terme d’urbanisme et de protection environnementale jusqu’à l’impasse ; de l’autre la mytiliculture qui est effectivement une belle vitrine qu’il convient impérativement de préserver économiquement, mais là encore de façon raisonnée.
On ne peut que s’interroger sur l’influence de ces divers paramètres sur un chiffre de population en baisse constante depuis 10 ans, à l’inverse d’autres petites communes où la vitalité ne se limite pas dans l’année aux quelques mois d’été ou aux vacances scolaires.
A l’heure où normalement le premier édile devrait tirer sa révérence – n’aurait-il pas fait un mandat de trop ? – et où les données politiques nationales connaissent depuis 2017 ans un total bouleversement, c’est effectivement peut-être l’occasion pour Penestin de connaître un renouveau à la fois dans ses élus mais aussi pour améliorer et enrichir son fonctionnement.
Autre questionnement inquiétant qui, semble-t-il, n’a du tout été abordé par les participants au débat : les 22.87 % des suffrages penestinois exprimés aux dernières européennes pour le FN – pardon le RN -, dans une participation à 60.40%. Penestin n’est pourtant pas, sauf à l’ignorer, une commune atteinte des maux sur lequel ce parti fait son lit (ou sa lie).
Quelles réponses le GPL y apportera-t-il ?
En résumé la démarche est sympathique mais attention au piège des discussions théoriques sans fin ; à force de trop théoriser on arrive souvent à des impasses. Et quand je lis des expressions comme « l’épanouissement de l’intelligence collective » j’avoue ma perplexité, ayant déjà connu en d’autres temps ce genre de discours ne débouchant au final sur pas grand chose.
A ce qu’il me semble, le rôle d’un élu, et peut-être davantage encore dans une petite commune, est avant tout de savoir faire face dans l’immédiateté à des problèmes concrets et pratiques, tout en ayant la capacité d’une prospective à moyen et long terme. Un équilibre toujours subtil et pas forcément évident pour les béotiens que nous sommes. Et, en cas d’élection, pouvant provoquer par rapport à de belles idées de partage de la démocratie locale un retour brutal et non préparé à la réalité.
Aux Penestinois de puiser dans leur histoire passée ou dans les évolutions du monde actuel pour s’offrir d’autres perspectives… tout en restant les pieds sur terre en préservant une commune où il fait au demeurant bon vivre ou séjourner.
Affaire à suivre …..
Désolé : c’est moi qui ai écrit “l’épanouissement de l’intelligence collective” et je ne suis pas fier de ce pâté de syllabes que j’essaie d’éviter en général. J’ai écrit un peu vite en laissant quelques imperfections de ce genre (pas trop, j’espère…) Gérard Cornu
Autant pour moi aussi car j’aurais dû mettre les guillemets là où ils étaient, ce qui ne change pas toutefois sur le fond le sens de ma remarque.
Je n’ai pas assisté à la réunion de vendredi. Certains sujets évoqués dans l’article refont surface six mois plus tard et la méthodologie imposée est la même. Le concept de démocratie participative est toutefois, à n’en pas douter, un réel progrès pour notre démocratie représentative. En 1992 la « loi Joxe » introduisait les premiers outils au sein des collectivités locales (informations obligatoires, consultations pour certaines décisions etc…). En 2003 la révision constitutionnelle a poursuivi ce mouvement d’ouverture (pétition, référendum, inscriptions aux ordres du jour etc..). Aujourd’hui quelle que soit la structure, le moyen, l’outil pour mettre en oeuvre la démocratie participative locale et la faire vivre au quotidien, il faut un budget minimum sans lequel les projets ne peuvent se réaliser et sans lequel les citoyens n’ont aucune marge réelle de manœuvre. Dans l’article il est aussi question de mon positionnement par rapport « aux discussions sans débats ». Ce n’est pas la seule raison de mon départ mais peu importe. « le groupe GLP a mis en application, dans toutes ses séances, une « méthode » d’animation de réunions destinée à favoriser l’épanouissement de l’ « intelligence collective ». Le sujet est bien trop compliqué pour le résumer en quelques mots. Mais lorsque le coordinateur du groupe se positionne en « dictateur bienveillant », même avec les meilleurs sentiments, il ne peut « contrôler » le groupe sans réduire à néant sa complexité et son intelligence collective… L’affiche de la GLP corrobore cette méthode et assimile le débat à un rapport de force alors qu’il est une expérience de vie et de pensée entre citoyens. L’enjeu d’un débat n’est pas une personne, ni un intérêt particulier et encore moins l’intérêt d’un groupe. La réussite d’un débat dépend autant de la qualité d’écoute des participants que de la valeur des discours qu’ils produisent. L’éthique du débat suppose de ne pas opposer la vie et l’idée, le concret et l’abstrait, la pratique et la théorie. On ne gagne pas un débat. Le signe de sa réussite est le changement qu’il a produit dans notre pensée et notre façon de concevoir un problème. Le débat peut-être une remise en cause de nos certitudes ou convictions, de nos opinions ou de notre savoir. C’est toute sa richesse.